CROISIERE D’ETE DANS LE SOLENT

par Claude Aubé

 

 

Voici le récit d’une croisière d’été dans le Solent. Cette croisière a été réalisée en juillet et août 1996 avec deux bateaux, le " Clodo " de Fécamp, Cobalt plan Langevin de Gilbert, figure bien connue dans la cité des Hautes Falaises et le " Bananec Blues " du Havre, un Karaté MK 1, mon joli bateau.

Avec Gilbert, nous avons passé une bonne partie de l’hiver à tirer des plans et à faire des projets sur cette croisière estivale : Les Scilly ou la Tamise, la Tamise ou les Scilly ? Nous avions une grande envie d’aller à Londres. En Manche, le vent dominant est généralement Sud-ouest en période dépressionnaire et souvent de Nordet relativement fort en anticyclone… Le dimanche des Rameaux, entre onze heures et midi est, d’après les anciens un baromètre qui donne la tendance du vent dominant de l’année nous informa d’un NE à venir. Pas de problème, nous irons aux Scilly !

C’est ainsi que nous retrouvons le 28 juillet au soir chez Gilbert pour mettre au point les derniers détails et surtout prendre la tendance météo. Les nouvelles ne sont guère engageantes, non que la force des vents annoncés soit alarmante mais que son sens général nous préoccupe : de l’ouest, de l’ouest pour dix jours… Nous bénissons les anciens et leur dimanche des Rameaux ! La conclusion s’impose, direction la côte anglaise après une première étape du " Bananec " jusqu’à Fécamp

30 JUILLET : LE HAVRE – FECAMP – 25 milles – 3 h 40

Au matin du 30 juillet, nous quittons donc Le Havre, notre port d’attache, joyeux à l’idée de retrouver à Fécamp l’équipage du Clodo : Gilbert, Ghislaine et Basile, le fils… Le temps n’est pas idéal, il fait gris, la mer est un peu agitée mais chacun a le cœur léger puisque la croisière commence. A mon bord, mon fils Julien, équipier très averti, son amie Céline, Michel qui a passé l’hiver à mon bord pour s’aguerrir et sa femme Catherine, novice. Les premiers milles sont pénibles, au près serré pour se dégager de la pointe de la Hève mais Julien qui inaugure une veste de quart dernier cri tient la barre d’une main ferme. Catherine a encore le sourire et Céline que ses origines nancéiennes n’ont pas préparés à l’élément liquide, découvre la vague. Michel, fidèle à l’image cool qui est la sienne, ne manifeste ni surprise ni émotion. Bref, ça commence plutôt bien et, la Hève franchie, nous suivons la magnifique côte d’Albâtre en direction d’Antifer.

Pour l’avoir pratiqué souvent, je n’aime pas le cap d’Antifer. En cas de fort clapot, les basses et le courant lèvent des lames assez dangereuses d’autant que le vent dominant de secteur ouest porte en côte. Il faut passer là avec le courant et, venant du sud, il est prudent de s’éloigner de la digue su port pétrolier pour franchir le chenal à la deuxième série de bouées. Passé le cap, on trouve alors deux zones bien remuantes, immédiatement après la digue et ensuite devant Etretat.

Pour en revenir à notre croisière, le clapot étant modeste, je passe à ras de la digue. Se déclenche alors un phénomène que redoutaient sans doute mes équipiers et qui reste incontournable : la gerbe s’installe à bord. Catherine d’abord puis Céline… Michel qui entre temps à pris la barre résiste un moment avant de succomber. Mais, la délivrance arrivée, il reprend la barre, impérial. Les deux autres restent prostrées dans le cockpit.

Mais le soleil finit par transpercer les nuages et la brume se lève : nous passons devant Etretat, un joyau vu de la mer dont ne profitent pas les femmes du bord. Et nous apercevons déjà la plage et la falaise caractéristique de Fécamp tout en admirant au passage une curiosité de cette côte, une aiguille de calcaire de trente mètres de haut qui surgit de la mer dont j’ai une fois pratiqué le passage à terre (à utiliser à marée haute exclusivement !). Le sémaphore, un des plus courtois que je connaisse fait le relais VHF avec le " Clodo " que je ne peux pas encore joindre. Nous avons fait la route en moins de quatre heures et Gilbert nous accueille avec sa gouaille et son franc sourire.

A l’apéritif du soir, nous nous retrouvons sur le " Bananec " a l’heure sacro-sainte de la météo de France Inter. Quelle pitié de voir une fois de plus ces quelques minutes d’informations utiles sabotées par des terriens parisiens qui n’ont nullement conscience de l’importance que ces données peuvent avoir pour ceux qui vont sur l’eau ! Signe évident de la décadence, de l’innocuité de cette société parisienne qu’on nous impose. Ces journaleux ricanants, j’aimerai parfois les embarquer dans 25 nœuds de vent pour leur apprendre la mer, le vent, la réalité de ce qu’ils nous dispensent. Je passe l ‘après-midi à changer la girouette qu’un goéland fantasque a cassé en deux… Soirée guitare avec quelques plaisanciers amis dans le port de Fécamp.

31 JUILLET : FECAMP – BRIGHTON – 66 milles – 12 h

5 heures du matin, réveil délicat pour mon équipage. Il ne pleut pas (ce qui est assez rare par ici), le vent assez fort de la veille s’est un peu calmé dans la nuit. Je constate que mon feu de poupe ne fonctionne pas : trop tard pour réparer d’autant que le jour se lèvera assez vite. Nous sortons à l’heure prévue. Il est vrai que Gilbert, cheminot à toujours un horaire super précis pour les départs. C’est bien entendu moins précis pour les atterrissages. La mer, autant que la nuit nous l’indique n’est pas trop agitée et le vent d’ouest va nous offrir un travers de bon aloi. Rapidement, je vois que nos femmes auront encore à souffrir aujourd’hui. Nous les installons le plus confortablement possible et vogue la galère.

La suite de la traversée est sans histoire. L’allure est rapide, le temps bouché et nous perdons rapidement le " Clodo " de vue. Avant qu’il ne disparaisse, nous avons constaté que nous marchons de conserve, à une allure commune et une vitesse comparable. Nous abordons le rail montant : peu de cargos, 5 ou 6, bien espacés et sans danger. Michel et Julien se partagent la barre, je m’occupe des malades et de la restauration. A notre qu’à mon bord, affiché à la cuisine, se trouve un avis péremptoire : " le Capitaine fait la cuisine, l’équipage fait la vaisselle ! " car je préfère mettre la main aux fourneaux que de manger de la M… La ligne de traîne est une manne providentielle : 14 maquereaux ! Le rail descendant n’est guère plus difficile à franchir mais la visibilité a sacrément faiblie et nous scrutons avec attention les éventuels monstres des mers. Mais, jamais la visi ne fut faible au point de devenir angoissante… Et puis, soudain, le soleil vient et apparaît à tribord le promontoire de Beachy Head. Je reçois cette image comme celle d’un cap merveilleux, encore une fois de plus étonné, après tant d‘années de navigation de trouver la configuration espérée là où j’avais l’espoir de la rencontrer… C’est un des plus merveilleux moments que procure la navigation, cet instant où le marin qui commande le navire se rassure par la reconnaissance du cap, du phare, de la côte qu’il espérait.

Tandis que la côte se dessine de mieux en mieux, la santé de nos équipières qui sentent la terre s’améliore. Newhaven est visible à présent, flanqué des Seven Sisters, ces belles falaises blanches en mamelon plantées les unes à côté des autres. Et droit devant, se profile Brighton, la perle de l’East Sussex. Le vent a progressivement monté et c’est avec un Sud Sud-ouest de 6 que nous abordons l’entrée ouverte au Sud-est. Nous affalons la toile avant de pénétrer dans la passe. Cette marina crée de toute pièce dans une immense brèche taillée dans la falaise crayeuse est particulièrement cosy. L’accueil y est agréable et informatisé et le service " à l’anglaise " c’est à dire maximum, surtout au niveau sanitaire…

Le vent d’Ouest s’annonçant musclé, nous décidons la visite de la ville pour le lendemain. Un double-decker nous emmène jusqu’au centre. Les lanes, petites ruelles moyenâgeuses, tortueuses à souhait, aux façades à colombage regorgent de boutiques et d’échoppes de bijoux, d’antiquaires, de galeries de peintures, d’artisans et de bouquinistes. A ne pas manquer. Revenant vers le bord de mer, le Royal Pavilion, extravagant palais inspiré de l’architecture des Mongols des Indes surprend. Notre déambulation nous amène jusqu’au Pier, cette jetée en poutrelles métalliques qui supportent une immense fête foraine permanente qui fait en partie la réputation de Brighton.

2 AOUT : BRIGHTON – LITTLEHAMPTON – 18 milles – 4 h 40

Nous attaquons notre progression vers l’ouest et c’est Littlehampton qui est vidé. La côte s’abaisse et reste plate jusqu’à Poole où la falaise de craie réapparaît. Nous effaçons le banc de sable immédiatement à l’ouest de la sortie et c’est sous un vent léger et erratique que nous nous traînons. Soreham se précise, avec une cheminée qui n’a plus d’usage mais que les locaux ont demandé de préserver car elle constitue un amer remarquable pour l’entrée du port. C’est en tirant d’interminables bords que nous atteignons l’embouchure de la rivière Arundel. Le courant, perpendiculaire à l’entrée est assez fort et traverse les épis de chêne qui constituent les deux jetées. De chaque côté, deux immenses plages de sable fin. A tribord défile une fête foraine Harbour Park et quelques encablures plus loin, le Commodore du club nous prend les amarres sur un petit ponton qui reste en eau. Ne pas tenter les pontons situés à l’ouest qui vont rapidement assécher dans des fonds vasards. Plus haut dans la rivière, une jolie marina mais il faut franchir le pont levant et nous ne souhaitons partir sans contrainte. La ville est quelconque mais les abords sont restés sauvages et la promenade dans les marais de l’ouest peuplée d’oiseaux sauvages.

Notre départ est fixé à 13 h 30 car il faut ici jouer avec l’heure de départ si on poursuit vers l’ouest. C’est pourquoi nous devons quitter l’endroit au plus fort du flot. C’est là que nous serons surpris par le courant violent qui porte au ponton. Dans la manœuvre, mon moteur se révèle insuffisamment puissant pour me dégager et je cule vers un bateau amarré derrière moi. Les deux balcons se crochent et le skipper, un français, vient tenter de les déprendre. Hélas, il met sa main entre les deux et l’un de ses doigts explose : fracture ouverte ! Il reconnaît son erreur et je lui propose mon aide qu’il refuse. Je règle largement le montant d’un feu de navigation qui a explosé et lui donne mes coordonnées si nécessaire. Cela n’empêchera pas cet indélicat plaisancier de monter ensuite un dossier fallacieux pour tenter de récupérer quelque argent…

3 AOUT : LITTLEHAMPTON – GOSPORT – 23 milles – 6 heures

Nous quittons Littlehampton contre un courant de rivière enragée, encore sous le coup de ce qui vient d’arriver. Pas de vent, nous naviguons au moteur pour passer Selsey Bill. Ce cap m’apparaît bien différent de ceux que j’ai l’habitude de passer : une pointe de côte basse, langue de sable qui s’avance en mer, surmontée d’un phare trapu et bas, avec très peu de clapot pour un cap. La seule difficulté est constituée des roches affleurantes à trois milles en mer qu’on évite en passant au sud la bouée " Owers " ou en empruntant le passage à terre, sain et balisé par une rouge et une verte distantes d’une dizaine de mètres, porte étroite… Le vent est enfin un peu rentré et nous nous tirons la bourre entre les deux bateaux.

L’entrée de Porsmouth est très balisée pour éviter les bancs nombreux. Un plaisancier local m’a informé d’une passe sur le mur submersible menant à Fort Horse Sand mais, en l’absence de carte de détail, nous préférons jouer la sécurité et le déborder par le sud. A bâbord, dans une douce lumière de fin de journée se profile la mythique Nab Tower qui marque l’entrée Sud-est du Solent. Nous remontons ensuite vers Gosport et la marina Camper et Nicholson où le ponton d’accueil est tapissé de moquette synthétique vert pétant. Le jusant puissant nous obligera à tirer des bords pendant plus de deux heures avant d’y poser nos amarres, au milieu d’un incessant ballet de ferries, d’hydroglisseurs et autres embarcations rapides…

Se poser dans ce lieu reste exceptionnel pour maintes raisons. D’abord, une visite s’impose dans le chantier Camper et Nicholson qu’on ne présente plus. Nul cerbère n’empêche ici l’amoureux des belles unités d’y pénètrer et d’aller admirer des coques sublimes. Les employés affables répondent aimablement aux questions posées. Ensuite, il faut prendre le ferry à chaîne qui vous transporte en quelques minutes jusqu’à Porsmouth pour la visite de l’arsenal de l’amirauté qui renferme, outre divers bâtiments musée à ne pas éviter plusieurs grands voiliers dont le célèbre Victory de Nelson.

5 AOUT : GOSPORT – BEAULIEU RIVER – 14 milles – 3 h

Le départ est fixé au lendemain, aux aurores pour aller jusqu’à Beaulieu River, au cœur de la New Forest. Au petit matin, c’est au moteur, dans un soleil levant qui nous dispense un spectacle merveilleux que nous doublons la pointe Gilkicker.

La route directe nous amène à tutoyer Cowes que nous avons réservé pour plus tard dans la croisière devant laquelle sont mouillés les plus grands navires et voiliers de la semaine de Cowes qui bat son plein parmis lesquels le yacht royal Britannia qui effectue ici sa dernière visite avant sa vente. Les grands de ce monde ont aussi leurs difficultés ! Un peu plus loin, l’Europa, superbe trois-mâts hollandais tire mollement sur sa chaîne.

Nous embouquons, après cette courte navigation la rivière de Beaulieu. C’est une véritable splendeur qui s’offre à nos yeux ébahis : au cœur d’un lit de verdure la rivière serpente entre les rives boisées, flanquée de bateaux à voile et de vedettes anciennes et vernies, sur corps morts ou mouillées avant arrière sur des pieux de bois. Sur les berges, sternes, goélands, hérons cendrés, canards, bernaches, oies et autres courlis sont légion. Chaque coude de la rivière apporte un nouveau point de vue aussi enchanteur. Et au détour d’un nouveau méandre apparaît Bucklers Hard, avec une barge de la Tamise rutilante à quai.

Nous dépassons la marina nichée dans la verdure pour tâter les fonds en direction de Beaulieu. Dès que nous touchons, nous faisons route inverse pour apponter dans la plus chère marina d’Angleterre. N’arrivez jamais là un week end, le prix en est prohibitif. On peut néanmoins mouiller entre les pieux au milieu de la rivière, ce qui coûte nettement moins cher. Mais les services sont à la hauteur du prix : sanitaire, laverie, nombreux shipchandler, slip… Bucklers Hard est un ancien chantier naval où l’on a construit une partie de la flotte de Nelson et il est resté à l’identique. Un musée maritime retrace l’activité de ce chantier, nécessaire à notre culture maritime. Notez aussi qu’une fois l’an se tient ici les plus grandes puces de mer qu’on puisse trouver.

6 AOUT : BEAULIEU RIVER – YARMOUTH – 10 milles – 2 h 20

Au matin, le ciel est encore clair mais nous avons senti, au passage de cirrus nets et francs que quelque chose se prépare. Nous descendons donc la rivière au plus vite. Avant d’atteindre la mer, il faut prendre un ris. Dans l’embouchure, le vent est sévère et bien entendu en fonction de la définition du cap – lieu d’où vient le vent et où veut aller le capitaine – nous avons le nez dans la plume. Les tactiques divergent alors : le Clodo tire un long bord vers l’Angleterre tandis que je traverse rapidement le Solent pour louvoyer sous la côte. Les deux options, à part le confort de la nôtre ne donnent pas un avantage significatif et nous nous présentons de conserve devant Yarmouth. L’entrée du port le plus à l’ouest de l’île de Wight présente au moins deux mètres d’eau et le seul danger réside dans le va et vient des ferries qui amènent un flot de touristes considérable. L’accueil du maître de port, un vieux marin blanchi sous les embruns est chaleureux : souriant et amical, du fond de son canot piloté de main de maître, il nous octroie une place sur la pile10, au milieu du port car ici, on mouille cul et tête entre deux poteaux, à couple. Nos voisins de mouillage qui nous accueillent aimablement sont tous des amputés d’une jambe à l’exception de leur skipper, une femme.

Le coup de vent nous est annoncé par le maître de port. Nous gonflons l’annexe pour aller à terre mais nous pourrions utiliser le taxi de mer, peu onéreux et toujours disponible sur un simple coup de trompe. Nous allons visiter le vieux village très pittoresque et groupé autour de sa massive église au clocher carré. Au delà du port, passé un pont levant, on peut s’amarrer sur des coffres dans la rivière dans un cadre champêtre, au milieu des roseaux peuplés d’oiseaux nombreux. Pour en revenir à la ville, elle propose de nombreux pubs, des magasins achalandés où je trouve une très bonne paire de chaussures de pont pour moins de 200 francs ! Sur le front de mer, une des derniers pier restauré avec des fonds privés d’entreprise ou de particuliers. Chacun des donateurs a comme récompense une plaque à son nom vissée sur le bois de la jetée. La promenade au bord de l’eau jusqu’à Boudnor avec vue sur la côte anglaise est véritablement superbe, surtout sous le soleil qui nous accompagne toujours. Coup de vent oblige, nous devons rester là pour une journée. Le vent de 7 à 8 qui souffle de SW nous montre ce qu’est un fort vent dans l’entrée Ouest du Solent : des vagues courtes et abruptes qui motivent ce jour là une sortie musclée des Coast Guard pour un May Day. Je profite de l’après-midi et d’un certaine tension à bord pour aller visiter le long de la côte jusqu’aux Needles, m’arrêtant au passage à Fort Victoria pour une visite de l’aquarium puis je poursuis jusqu’à Fort Albert. Toute cette partie de la côte est sauvage. Au nord, sur la côte anglaise, j’admire le fort de la pointe Hurst qui cache le havre de Keyhaven dont je fais une aquarelle. Le soir venu, le vent se calmant, nous envisageons de traverser le lendemain vers Lymington à 4 milles seulement au nord de Yarmouth.

7 AOUT : YARMOUTH – LYMINGTON – 4 milles – 1 h 10

Le vent de Sud-ouest souffle encore généreusement, 6 à 7 quand nous quittons Yarmouth sous un franc soleil. La mer est belle, d’un turquoise profond que parsème des moutons blancs qui s’effondrent vite, la falaise de Needles leur coupant le vent. Sous génois seul, au portant, nous filons à 6 nœuds. L’entrée de la passe marquée par la curieuse bouée " Jack in the basket " est atteinte rapidement. Anecdote curieuse pour cette bouée, son nom lui vient d’un panier qui était autrefois fixé sur le sommet où les femmes de pêcheurs venaient poser le casse croûte de leurs hommes qui venaient ainsi récupérer leur pitance sans entrer au port situé assez loin dans les terres. L’entrée, en quinconce est encombrée des ferries qui alimentent en touristes l’île d’en face. A tribord, quelques voiliers sont mouillés dans un petit chenal que nous cache une langue de sable marécageuse vert tendre qui donne l’impression que ces navires sont plantés dans la terre.

Délaissant les marinas proches de l’entrée, nous remontons le chenal pour aller prendre le ponton de Town Quay, ce quai de la ville au cœur même du vieux quartier de la cité. L’endroit est charmant et c’est là qu’il faut venir s’apponter. D’un petit slip situé en bout de l’appontement un joli et vieux ketch en bois vernis quitte le port à la voile écartant les cygnes sur son passage. Devant le pub à la terrasse bondée un groupe de danseurs écossais anime le village au son de la cornemuse et du tambourin… Les ruelles tassées au pied de la ville sont particulièrement typiques et animées avec un ship très achalandé et un antiquaire de marine dont l’échoppe fleure bon la cire. La rue principale grimpe dur et est bordée de jolies boutiques où l’on fait l’avitaillement sans problème. Vache folle oblige, au supermarché la viande est étiquetée " French meat " ce qui ne peut que nous réjouir ! A mi-côte, un " fish and ships " où le haddock est délicieux. Si l’escale est assez longue, il ne faut pas manquer d’aller fouiner en passant le pont sur la rivière dans une solderie marine extraordinaire, véritable caverne d’Ali Baba où l’étalage des barres à roue m’a laissé pantois.

9 AOUT – LYMINGTON – COWES – 15 milles – 2 h 25

C’est sous la pluie et pour la première fois depuis le début de cette croisière que nous descendons vers la mer. Mais, à peine arrivé à " Jack in the basket " que le ciel gris se déchire et que les culottes de gendarme parsèment la nue. Le courant qui entre dans le Solent par l’entonnoir des Needles nous entraîne avec force vers Cowes. Dans le bras de mer, c’est un incroyable imbroglio de bateaux qui, au près serré ou sous spi, foncent vers les marques de parcours. Car nous sommes dans la célèbre semaine de Cowes. Nous sommes particulièrement attentifs à lofer ou abattre pour ne pas léser les concurrents en course. Nous pénétrons dans la Médina pleine comme un œuf. Nous savons parfaitement qu’il est vain de chercher une place dans les différentes marina où les places sont exclusivement réservées aux participants. Nous remontons donc la rivière jusqu’à Folly, un ponton mouillé au milieu de l’eau, au cœur de la campagne. L’accueil y est là encore agréable et chaleureux.

Un passeur nous permet l’utilisation des facilités du restaurant local le Folly Inn où la pinte de bière est savoureuse. Profitant du taxi de mer, nous allons traîner dans Cowes où se croisent des équipages blancs de sel et des gentlemen en route pour la garden party du Royal Yacht Squadron. Devant celui-ci sont alignés les rutilants canons de bronze qui ponctuent les départs de régate. La ville est pittoresque, avec ses ruelles tortueuses et nous ne manquons pas de visiter la boutique du célèbre photographe de la voile Beken. De retour à bord, nous sympathisons avec un couple de plaisanciers locaux avec lesquels nous finirons la soirée au Folly Inn bien joyeusement. Et avant de quitter cet endroit charmant nous ne manquerons pas d’offrir à Pat, notre voisine qui aime le vin rouge une bonne bouteille de notre cambuse. Et je garderai particulièrement le souvenir de cet Harbour Master à la barbe blanche qui m’étreignit au moment du départ.

10 AOUT : COWES – HAMBLE RIVER – 10 milles – 2 h

Nous descendons la rivière avec le courant, sous génois seul. Cowes vibre encore des dernières régates de la semaine. Un orchestre dans le lointain fait entendre ses derniers flonflons et sur l’eau, dans le bras de mer, c’est toujours le domaine des empoignades. Dès la sortie, il faut négocier notre passage d’autant que le banc de Bramble nous empêche de faire route directe. Le Clodo laisse porter à l’est quand je choisi d’aller au vent pour déborder le banc par l’ouest. Nous évitons le flot des régatiers pour remonter vers Calshot Spit qui marque l’entrée du bras de mer vers Southampton. Au sud, nous apercevons le Clodo, voiles battantes. Il semble en difficulté. Effectivement, Gilbert a talonné sur le banc dont l’extrémité est n’est pas balisé. Aussitôt un gros canot des Coast Guards harnachés et casqués s’approchent et tirent le voilier de sa position dangereuse. Nous avons rarement vu des secours aussi rapides surtout qu’aucun message avait été lancé… Stupéfiant d’efficacité !

Embouquant la rivière Hamble, nous croisons l’Explorer de Bruno Peyron qui attend des vents favorables pour battre le record de la traversée de la Manche. De part et d’autre du chenal, c’est un foisonnement de marinas et de bateaux mouillés sur pieux. Nous approchons de la fin de la partie navigable de la rivière pour les voilier et pénétrons dans la marina de Swanwick. Elle est propriété du constructeur réputé Moody et nous allons admirer les bateaux neufs amarrés à plusieurs pontons de la marina en attente de livraison : beaux canots en vérité. Le soir venu, je rends une petite visite au célèbre Jolly Sailor où il est vain de chercher une place. Le moindre muret extérieur sert de siège à moult buveurs de bière. Se frayer un passage jusqu’au bar pour commander est pire qu’affronter un 7 dans le Solent.

Le lendemain, nous restons en standby pour laisser passer un coup de vent annoncé. Nous en profitons pour nous promener sous la pluie (deuxième jour seulement) jusqu’à une casse de bateau, le long de la rivière. C’est un véritable capharnaüm de tout ce qu’on peut trouver sur un bateau, grand ou petit et nous fouillons tout cela à la recherche de l’objet rare… Le soir venu, le soleil revient, le départ est programmé pour le lendemain.

11 AOUT : HAMBLE RIVER – GOSPORT – 15 milles – 4 h 55

Dans l’embouchure de la rivière, la marée basse a découvert une langue de sable où nous admirons courlis et chevaliers guignettes qui cherchent pitance. Occupés à observer les oiseaux, nous n’avons pas vu le Clodo en panne de moteur, s’arrêter sur un ponton le long de la rivière. N’obtenant pas de réponse à la VHF, nous remontons le courant pour retrouver notre compagnon de route. Nous nous mettons à couple sous les vociférations d’un maître de port estimant que Gilbert, dans sa manœuvre a déplacé l’ancrage du ponton. Il faut parlementer un bon moment mais nous ne coupons pas à remplir une somme de paperasse destiné à faire prendre en charge par l’assurance du Clodo les soi-disant dommages provoqués. C’est tellement grotesque que je ris au nez du galonné qui n’apprécie guère et parle de police. Ceci étant, l’adresse que nous indiquons ne doit pas être facile a retrouver…

Gilbert diagnostique une rupture de l’arrivée de fuel et nous donne une leçon utile : pompant du fuel dans un récipient en plastique, il alimente son moteur en direct. Et vogue la galère, nous repartons. Le confluent franchi, nous envoyons le spi que nous devrons affaler devant la pointe Gilkicker où mouillent plusieurs bâtiments de Sa Gracieuse Majesté qui nous rappellent que Portsmouth reste un des principaux ports de guerre de la Blanche Albion. Et nous entrons à Gosport en admirant l’Eagle, le navire-école des Coast Guard américain que nous connaissons bien depuis les rassemblements des grands voiliers à Rouen.

Le lendemain, jour de relâche et d’avitaillement, Gilbert inquiet d’une éventuelle fissure du sabot de quille suite à la touchette dans Bramble Bank plonge pour vérifier. Rien et, par analyse, il décèle une fuite sur une tuyauterie d’alimentation en fuel qui a provoquée les problèmes moteur. Bien que sa connaissance de la langue soit proche de zéro, nous le laissons se débrouiller. Le soir venu, l’apéritif que nous prenons dans le cockpit est troublé par un orage et nous rentrons aux abris pour écouter la météo marine en vue de la traversée du lendemain.

13 AOUT : GOSPORT – CHERBOURG – 76 milles – 15 h 15

A 6 heures du matin, nous larguons les amarres pour la traversée… enfin, nous essayons car les deux bateaux sont plantés ! Le Clodo, plus près de la sortie se dégage mais le Bananec est vraiment scotché. Nous utilisons un ketch de vingt mètres amarré à l’extérieur pour passer des amarres et désenvaser le canot. Après un bon quart d’heure de manœuvre, nous réussissons à partir. Et dans le petit matin, nous quittons la côte anglaise. Le vent, quasiment nul dans le port monte graduellement au passage de Fort Spit Sand. Plus à l’est, le Clodo envoie le spi tandis que nous longeons la côte de l’île de Wight et Bembridge. Dernier regard sur les falaise de l’île, nimbées de brume dans le soleil levant. Il n’y a plus qu’à traîner la ligne qui ne tarde pas à nous apporter son lot de maquereaux. Et la traversée est belle, avec un vent régulier tournant irrémédiablement au cours de la journée du portant au près serré. Le rail ne sera qu’une formalité, trois cargos entre le rail montant et le descendant ! Et c’est sous une bonne brise, le bateau chuintant sur la mer que nous rentrerons plein pot dans l’immense rade de Cherbourg… une heure devant le Clodo.

Voilà, c’est le récit simple d’une agréable croisière, avec le soleil que ceux qui ne savent pas ne peuvent attendre d’une navigation en Manche, avec la découverte de gens chaleureux, de lieux charmants, bref c’est un aperçu de ce qu’est notre terrain de jeu… avant d’aller pousser notre étrave vers des mers plus chaudes. A ceux que ce récit aurait donné l’envie de naviguer tonique, je suis à disposition pour des informations sur toute la côte sud de l’Angleterre, de Ramsgate aux Scilly ainsi bien sur qu’aux Iles Anglo- Normandes.

Claude.aube@free.fr        

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