SOMMAIRE
2. MAL DE MER
3. HONG KONG
4. MAUVAISE FOI
5. COW BOY
6. LES ÉLÉPHANTS
7. A MOI LA TERRE, LA MER M'ABANDONNE
8. IMAGES DES ANGLO-NORMANDES
9. BOB, TOURDUMONDISTE
10. PAULO LE LÉGIONNAIRE
11. GEORGE LE MARINE
13. PIERROT LE FOU
14. GILBERT LE VIKING
15. LA NUIT LA PLUS FOLLE DE MA VIE
16. REMORQUAGE
17. LA LOI DE L'EMMERDEMENT MAXIMUM
18. LES PROFESSIONNELS
19. LES SCILLY
20. PLYMOUTH
21. PORTLAND BILL ET WEYMOUTH
22. SAINT ALBAN'S LEDGE
23. LES GLENANS
24. LES SOURIRES DES GLENANS
25. HISTOIRES BELGES
26. A ECLUSER
A ceux sans qui je naurais jamais pu arriver à ce niveau de clairvoyance vis à vis de la mer qui me fait espérer devenir marin un jour : Françoise, ma femme, qui abhorrait la mer et dont la douleur du départ ma lancé dans le grand bain, Jacquot Ferment qui a permis mes premières navigations, Jacques Boutry, mon ami, qui ma abandonné à la navigation en solitaire dans ce duo que nous vivions avec tant dintensité, Les Glénans, cette merveilleuse école de vie qui ma fourni, au fil du temps, la confiance en moi qui me manquait, dans les fonctions quelle ma confiées, et tous les marins de rencontre dont je raconte ici, des tranches de vie...
Je ne suis pas né comme beaucoup de marins un biberon d'eau salée coincé entre les dents...Je ne me souviens d'ailleurs pas de la première fois où j'ai eu l'occasion de me tremper les pieds dans la mer. Je ne devais vraisemblablement pas être dans ma tendre enfance. Toujours est-il que j'ai toujours senti une profonde attirance pour l'environnement marin.
Je sais aussi que l'envie de naviguer à la voile a souvent hanté mes pensées et mes rêves. Pendant longtemps, je ne naviguais qu'au travers de "Voiles et voiliers" ou "Bateaux". Un jour, l'envie me prit de construire un bateau et le bois me parut le matériau le plus facile à mettre en oeuvre. Je fonçais aussitôt dans une scierie des environs où je fis réserver un plot de chêne et je cherchai le plan du voilier idéal dans "Système D". Mais, bien vite, la raison finit par l'emporter et je rangeai ce projet au compte des pertes et profits de la rêverie. Heureusement d'ailleurs car les plans retrouvés lors d'un récent déménagement me portent à croire que j'aurais construit un véritable sabot!
Poursuivant ma quête, je me retrouvai un jour au salon nautique avec mon beau frère où nous sommes tombés en arrêt devant un petit voilier, super solide qui venait tout droit d'au-delà du rideau de fer. Son origine polonaise lui donnait l'avantage d'un prix modeste et, ni l'un ni l'autre n'ayant de grands moyens, ce rêve-là nous parut enfin palpable et raisonnable, du moins jusqu'à ce que nous ayons regagné nos foyers où nos épouses reléguèrent le projet à plus tard.
Donc, pendant des années, passionné par la mer et par ce qui s'y rattache et ne pouvant naviguer, j'ai lu tous les livres, techniques, pratiques, les récits de voyage et les vies des grands et petits navigateurs. Et puis, les circonstances de la vie m'ont enfin permis de naviguer, sur les bateaux des autres d'abord et ensuite sur les miens. J'ai continué à dévorer les bouquins de tous ceux qui naviguent mais, au fil de l'eau, j'ai fait la constatation que la plupart des récits des navigateurs de plaisance traitent de navigations lointaines. Le plaisancier moyen rêve donc mais se reconnaît rarement dans ces navigations lointaines bien éloignées des siennes.
Il me semble pourtant que nos croisières d'été et nos week end à ras des côtes apportent nombre d'anecdotes, de sourires, d'angoisses ou de béatitudes qu'il est intéressant de rapporter. C'est l'objet de ce recueil de souvenirs, glanés au fil du temps sur les côtes de la Manche où j'ai l'habitude de faire du rase cailloux ou sur les autres côtes de France. Sans doute bien des plaisanciers du Dimanche se reconnaîtront-ils dans quelques-uns des portraits ou des situations rapportées ici.
MAL DE MER !!!
Dès qu'on vient a parler de nos navigations, rejaillit invariablement cette hydre épouvantable qu'est la mal de mer. Rares en effet sont les marins qui n'ont pas eu une fois au moins, l'occasion d'être confrontés à ce mal anodin ou terrible.
J'ai pour ma part, la chance d'être doté à ce propos d'une solide santé. Mais, comme beaucoup, et sans doute pour que je puisse juger sereinement des méfaits de cet empêcheur de naviguer en rond, je fus, une fois dans ma vie, confronté à la chose.
C'était au cours d'une de mes premières croisières, dans les Anglos. Depuis deux jours nous avions largement taillé la route jusqu'à Guernesey avec des conditions fameuses: soleil, vent au cul, spi. Mais, ce jour là, nous nous étions levés avec un crachin typique de Normandie et un vent de suroît assez frais. Mon expérience était modeste mais l'équipage dans l'ensemble était solide. Au près serré, nous bataillions contre une mer courte et hachée pour gagner Jersey et l'on vint virer devant l'Etac de Sercq, ce caillou isolé au sud de l'île et qui constitue un remarquable amer.
Une heure et demie plus tard, après avoir viré à nouveau, nous nous retrouvions devant le même caillou! "Le courant est contre nous" annonça le skipper, "il faut retirer un bord". Rebelote...nous voilà reparti ... pour nous retrouver à nouveau devant Sercq une heure plus tard..."La dérive est énorme" annonça alors notre capitaine, il va falloir encore en tirer un autre!..."
Un des cinq, plus amariné, se décida donc à préparer des pâtes à la sauce tomate que nous allâmes ingurgiter en bas. Le bateau - un TRISBAL 36 dont jappris plus tard que le près n'était pas sa tasse de thé - était fortement gîté et je commis la méprise de m'installer sur la banquette sous le vent pour déguster mes macaronis. Je voyais mes coéquipiers me surplomber, tout là-haut, de l'autre côté de la table du carré et je sentais monter au creux de l'estomac l'inquiétant va et vient de la semoule de blé dur à l'italienne.
C'est à ce moment là que le barreur s'écria "Ah, merde... encore l'Etac de Sercq !". Je me mis soudain à douter des qualités nautiques de mes équipiers. Ceci mêlé au trac que le mauvais temps m'avait déjà insinué aux tripes depuis un moment, augmenté de la digestion difficile des nouilles un tantinet trop cuites occasionna la seule et unique gerbe de mon existence de marin.
Mais, si je n'eus plus à me préoccuper de mon mal de mer, je n'étais pas au bout de mes peines quand à celui de mes équipiers à venir. C'est ainsi qu'un jour gris et maussade, j'embarquai pour une ballade en rade du Havre, cinq amis dont un, originaire de la Réunion et effectuant son service militaire en métropole, me semblait être plus que tout autre disposé à naviguer puisque venant d'un îlot de l'Océan Indien baigné par la mer. C'était une grave erreur.
Nous avions à peine dépassé les premières bouées du chenal qu'il réclamait déjà la cuvette salvatrice. Le pauvre garçon était vert, plus glauque que l'eau du port. La réaction en chaîne ne se fit guère attendre et, les uns après les autres, tous les équipiers furent pris du mal fatidique. Inutile de dire que les récipients du bord pouvant convenir en une telle circonstance ne furent pas assez nombreux et que nous fîmes demi tour pour que tous retrouvent le plancher des vaches le plus rapidement possible
Quand à notre îlien, il fallut le porter jusqu'à la voiture dans un état quasi-comateux . Je n'avais jamais vu quelqu'un aussi secoué. Plus de dix heures après, il était toujours affalé sur un sofa, incapable de se nourrir.
Une autre fois, j'embarquai quatre hollandais - encore un pays maritime - pour une ballade de santé par un temps de demoiselle: ils résistèrent un quart de mille et trois sur quatre succombèrent, sans doute sous l'effet de la chaleur ou de la platitude de la mer !
Le plus long mal de mer que j'ai eu à connaître fut celui d'un équipier dans une navigation d'hiver et de nuit entre Cherbourg et Le Havre. Nous étions partis avec une mer formée et un bon 6 en novembre. Les trois amis qui m'accompagnaient étaient confirmés mais avaient le défaut de ne pouvoir descendre dans le carré sans risquer une attaque. J'étais donc requis pour faire la route, la bouffe et le café. Peu de temps après le départ , on me commanda de la soupe. Pépé voulait un velouté de champignons. "Dans le consommé de champignons, ce sont les pieds qui ne passent pas" lui dis-je. Il en voulait quand même...Bon ! Il n'alla pas jusqu'au bout , il avait gerbé avant.
Il était vraiment très mal et on lui proposa de s'allonger dans la cabine. Le problème était qu'il n'avait jamais consenti dans ses précédentes navigations, a descendre ne serait-ce que quelques instants dans le carré. Nous finirent par le convaincre tant son mal était grand et il passa ainsi quinze heures allongé dans la couchette cercueil, trempé par les paquets de mer qui pénétraient par le capot ouvert... A peine le pied posé sur le catway, il s'en fut immédiatement se remettre de ses émotions au restaurant: tout était fini !
Le cas le plus extraordinaire quil m'ait été donné de connaître fut celui d'un jeune lillois que m'avait amené un ami de cette région. Ce gars-là avait l'intention avec son frère d'acheter un bateau et voulait donc s'initier à la mer. Nous voilà partis, vent dans le nez avec un bon 7 vers Ouistreham. Pendant une heure environ, nous avons bataillé contre vent et courant et, sagement, envisageant mal de se faire secouer longtemps comme ça, nous décidâmes de faire demi tour vers Le Havre et d'attendre l'accalmie annoncée.
Mario, c'était le nom de ce jeune-là, ne parlait plus depuis un bon moment, en proie au mal. Le casque du Walkman sur les oreilles, il ne paraissait pas néanmoins très atteint. A peine avions-nous posé une amarre qu'il sautait sur le catway comme s'il fuyait le diable. "Vous ramènerez ma valise" lança-t-il à ses compagnons et il s'enfuit en courant...Inutile de dire qu'il n'acheta pas de bateau.
Bien entendu, une foultitude d'autres compagnons de voyage ont été, eux aussi victimes du mal de mer, mais dans des proportions moindres que ceux-là. Les différents traités de navigation, les pêcheurs, les vieux marins ont tous leurs combines pour échapper au mal. La chimie et la médecine nous proposent aussi bien des produits pour le circonscrire. De plus, la science moderne avec les bracelets ou les semelles spéciales, les patchs de terre rare à poser derrière l'oreille nous donnent des armes pour lutter également.
Pour ma part, j'ai mis au point un "traitement" des plus simples dont les résultats sont très satisfaisants. Son seul défaut est de ne pas être remboursé par la sécurité sociale: c'est la bière! Dès les premiers symptômes et sans attendre que le mal ait vraiment progressé, j'administre cette potion magique à mes équipiers. A ceux qui prétendent ne jamais boire de bière parce qu'ils n'aiment pas çà, je fais remarquer que les médicaments les plus efficaces sont souvent les plus nauséabonds...et ils me remercient après...Alors, essayez!
HONG KONG
Ouistreham possède un port de plaisance très sympathique, bordé d'arbres et de shipchandlers, avec un club house accueillant. Hélas, il est saturé comme beaucoup de ports de la Baie de Seine. Aussi, lorsque je fis l'acquisition de mon premier bateau, un Love-Love, il me fut impossible d'y trouver une place.
Il faut noter une subtilité des faiseurs de fric qui gèrent ce port. Ils ont décrété qu'il y avait des places à l'année et des places au mois. Quand on vous octroie une place, c'est bien entendu au mois. Bien que votre bateau soit là en permanence, il vous faudra débourser le triple de ce que vous devriez payer pour une place à l'année. Après quelques années de "purgatoire", vous pourrez espérer avoir enfin une place au tarif normal...Intéressant, Isn't It? mais on aura l'occasion de reparler plus tard de l'arnaque des ports de plaisance.
Donc me voilà capitaine d'un navire condamné à naviguer ad vitam aeternam puisque ne possédant pas de place de port. Mon vendeur m'indiqua alors qu'existait le long du canal, dès la sortie des écluses, un no man's land où on pouvait éventuellement laisser son unité à flot. Certains bateaux étaient rangés serrés, l'étrave à la berge, les aussières brêlés les unes dans les autres et le cul libre. Mais là, impossible de trouver une place même pour y mettre une planche à voile.
Au milieu du flot par contre existait un ponton de pieux battus sur lequel on pouvait tenter de s'amarrer à couple. C'est donc là que jélus domicile pendant deux ans. Le principal problème du lieu en était l'accès puisqu'il fallait posséder une annexe pour parvenir jusqu'à son bateau. Gonfler une annexe à chaque utilisation relevait de la sinécure. La solution utilisée par tous les squatters du ponton en question consistait donc à détacher une des unités de la berge et a se propulser jusqu'au ponton. Pour peu que le propriétaire du dit bateau se pointe pendant que vous étiez en mer et c'était l'incident.
Quand on rentrait du large, la place la plus proche de la sortie était la meilleure pour s'apponter en vue de la sortie suivante. Mais bien entendu, chacun pensant la même chose, la fois suivante, il fallait souvent déplacer une dizaine de bateaux avant de pouvoir accéder à l'écluse... et louper le sas!
Alors, il ne restait plus qu'à guetter les bateaux à vendre côté berge et être prêt à occuper la place laissée vacante par ce départ. C'était un lieu charmant avec cris, engueulades, moustiques, rats et coups dans la coque en prime. Mais c'était aussi le lieu de rencontre des rêveurs tourdumondistes qui ne dépasseraient jamais la pointe de Bretagne.
C'était aussi un ramassis de vieux bateaux bizarres comme ce petit voilier de six mètres dont le propriétaire avait installé une barre à roue artisanale avec un volant de Dauphine et sur la poupe, un siège en fer soudé au balcon arrière ou prenait place lors des sorties son imposante moitié, raide comme un mâtereau, dominant d'un regard hautain le pont du navire.
Un autre voilier, imposant, coque en acier, possédait un château arrière digne des galions espagnols, avec balustres et main courante travaillés. Je l'ai rencontré un jour en mer tirant des bords carrés impressionnants! Pourtant 'il avait traversé l'Atlantique : ça nétait autre que le voilier du sympathique Bobosse, le roi du calva, dont Thalassa nous a conté lhistoire et qui vient de disparaître au Venezuela après une nouvelle traversée ...
Il y avait même un vieux gréement avec fourrures dans les haubans battant pavillon polonais et une foultitude de coques vermoulues et percées qui continuent encore aujourd'hui à s'enfoncer petit à petit vers les abîmes vaseux si ce n'est déjà fait.
Et ce sont tous ces bateaux imbriqués, tous ces capitaines truculents qui ont fait surnommer ce pittoresque endroit HONG KONG.
MAUVAISE FOI - histoire d'abordage
Un après midi d'été, j'abordais en remorque le ponton d'attente de Ouistreham suite à une panne de moteur. Qui a déjà atterri quelque part non manoeuvrant sait la difficulté de ne pas posséder de frein? C'est toujours pointu et généralement l'erre est trop importante et il faut attraper à la volée le ponton ou le bateau sur lequel on vient à couple.
Une fois largué mon remorqueur, je m'approche donc d'un voilier de onze ou douze mètres choisi à dessein pour avoir la plus grande longueur possible pour me stabiliser. Je naviguais avec pour seul équipier mon fils de neuf ans qui se tenait à la proue pour attraper le chandelier salvateur. Nous abordons donc relativement doucement ce joli bateau et commençons à passer nos amarres quand, tel un diable sorti d'une boîte jaillit le propriétaire vociférant, les bras tournoyant comme les ailes d'un moulin à vent. "C'est pas possible...il m'a fait un trou...il est fou ce mec!". Tous les autres plaisanciers en attente du sas sont précipitamment sortis de leur carré et me lorgnent soudain de façon peu amène.
Alors cet abruti détache mes amarres et les lance sur mon bateau qui commence à dériver. Je me précipite pour les relancer sur son unité ou sa femme réussit à le convaincre de les rattacher. Je demande à Julien si la proue a touché a l'arrivée? "Non, papa, j'en suis sûr, on l'a pas touché, çà c'est sûr!" Je n'ai moi-même pas senti de choc mais cet escogriffe continue à ameuter la foule dubitative. Il finit par me faire douter. Je lui concède que si j'ai éperonné son bateau, je suis assuré et que nous allons faire une déclaration. "Oh! une déclaration, encore des papiers...des emmerdements... c'est pas la peine, y'avait qu'à faire attention!" Et aussi sec, il réintègre son carré.
Julien et moi restons abasourdi par l'incident, assis dans le cockpit. Je lui fais confirmer que nous n'avons pas touché. Et puis bientôt je vais voir de près les "dégâts" occasionnés à la coque de ce farouche plaisancier. Alors là, je reste baba: le trou dans le bordé date vraisemblablement de plusieurs mois, la crasse et la mousse verte caractéristique qui fleurit sur nos bateaux surtout en hiver tapissent l'intérieur de la brisure.
Changement de programme, c'est à mon tour de commencer à invectiver ce peu glorieux sire qui se terre à présent à l'intérieur de son bateau: je suis furieux contre ce mec qui voulait me faire porter le chapeau de sa vraisemblable incapacité.
Aussitôt, l'opinion publique plaisancière change radicalement de bord. Les autres plaisanciers prenant fait et cause pour moi viennent m'aider à changer de place. "Ne restez pas à couple de ce salaud".
Et dans le soir tombant, toute honte sur lui, ce lamentable "marin" prendra la mer en catimini. Je vous souhaite de n'avoir jamais à le côtoyer
COW BOY
Histoire de plaisancier irascible également que celle qui nous est arrivée dans le port de Saint Vaast un beau soir de printemps.
Nous arrivions du Havre à deux bateaux dont le mien sans moteur. A dix milles du port, le vent étant tombé, j'avais pris la remorque. Nous entrons donc au port où nous cherchons la première place libre, n'étant pas manoeuvrant. L'autre bateau fait un rond dans l'eau du port le temps que nous stabilisions le nôtre et nous nous retrouvons donc l'un derrière l'autre, occupés à amarrer, à treize sur le ponton.
Il est une heure du matin, nous avons navigué depuis le matin et sommes heureux de nous retrouver, peut-être un peu bruyants. Soudain, d'un immense trimaran, sort en hurlant un énergumène habillé d'un "marcel", genre Rambo de bac à sable, qui s'agite et vocifère, déclarant que " la plaisance se dégrade ".
Je parlemente avec lui, expliquant notre longue route et lui disant que l'amarrage terminé, nous allons enfin passer à table et que le bruit, au demeurant normal, va cesser. Le gus rentre en bougonnant dans son bateau et soudain, deux projecteurs s'allument qu'il braque sur nos canots.
Ayant reçu en cadeau de mise à l'eau un projecteur à main super puissant, bien plus lumineux que les deux siens, je l'allume à mon tour. Tous nos équipiers sont pliés en deux devant la bêtise de ce type qui confond campagne profonde et port de plaisance.
Mais l'hilarité va être de courte durée puisque le type ressort de son carré une arme à feu à la main, et nous met en joue. Il ne nous reste plus qu'à rentrer précipitamment dans nos bateaux, ne sachant plus très bien ce qui risque d'arriver.
Nous apprendrons le lendemain, par le maître de port que ce gars là, qui habite sur son bateau, abuse tant soi peu de la bouteille et qu'il est coutumier du fait. Si donc vous devez entrer de nuit à Saint Vaast, évitez le premier ponton.
LES ELEPHANTS
Certains bateaux de plaisance sont le lieu privilégié des loisirs de la famille et on y retrouve les parents et les enfants; Pour ma part, mon bord est un lieu de passage ou j'ai recensé plus de quatre-vingts équipiers différents dans les deux dernières années.
Beaucoup de ces amis sont des marins d'expérience mais, mes activités au sein de la célèbre école de voile des Glénans m'amènent assez souvent à embarquer des novices en assez grand nombre.
J'avais lu un jour dans un de ses bouquins qu'Antoine qualifiait les débutants d'éléphants. Il est vrai que les premières fois que l'on pose le pied à bord, il est souvent difficile de se déplacer, et que ce n'est qu'après une certaine pratique qu'on acquiert la démarche chaloupée du vieux loup de mer. La plupart des nouveaux embarqués ont le pied lourd et font résonner le pont de sinistres claquements de semelles qui inquiètent généralement le propriétaire du bateau.
Et un soir que nous en parlions au port, un verre à la main, un de mes amis, vieux solitaire expérimenté me dit :"Pourquoi ne pas faire dessiner sur le livre de bord la première fois qu'un équipier monte à bord, un éléphant ?". La proposition me parut séduisante et je décidais de l'adopter sur le champ. Pour compliquer un peu l'exercice, il faut ajouter qu'on a unilatéralement décidé qu'il faudrait dessiner les yeux fermés.
Et c'est ainsi que mon livre de bord est enluminé de nombreux dessins de pachydermes, tous plus cocasses les uns que les autres. Certains sont de face, d'autres de profil ou encore de dos. Il en est de véritablement artistiques mais d'autres sont plutôt curieux. Ca va du ptérodactyle au papillon en passant par le tamanoir, l'oiseau-lyre, laurochs préhistorique ou le cheval de bois. Pour d'autres, inutile de chercher une ressemblance avec l'aimable animal d'Afrique ou d'Asie : c'est de l'art abstrait de toute beauté. Un petit malin a eu l'idée ingénieuse de dessiner une caisse et d'ajouter au dessous "il est dans la caisse!".
Reste que cette tradition fait passer à bord de délicieux moments et que les équipiers qui reviennent un jour naviguer se précipitent invariablement à la page de leur première venue pour retrouver leur impérissable oeuvre d'art !
A MOI LA TERRE
LA MER M'ABANDONNE
Je sais bien qu'un vieux dicton breton proclame "qui ne navigue, ne s'échoue", reste qu'il n'est jamais agréable de se retrouver sur le sable ou sur le caillou. Suivent donc deux histoires édifiantes à plus d'un titre de ce qui peut arriver à celui qui sort du port.
La première m'est survenue par un magnifique après-midi au large de Lion sur mer, dans le Calvados. Passant le week end avec une amie très chère mais qui n'avait pas le pied marin, j'avais accepté, après bien des supplications de la laisser sur la plage et d'aller faire des ronds dans l'eau. Le ciel était magnifiquement bleu et je longeais la côte en traînant une ligne à l'intention des maquereaux, nombreux sur nos côtes à cette saison.
Soudain, sans que rien ne l'ai laissé prévoir, la brume tomba en quelques minutes. Bien sur, je n'avais pas sorti de carte, pas fait d'estime, la côte étant en vue. Alors, le plus bêtement du monde, je me décidai à faire demi tour en me rapprochant de la plage afin de conserver une vue sur quelque amer.
Mal m'en prit ! J'avais fait un demi mile environ quand la quille prit brusquement contact avec le sable...Le vent était léger, j'affalai immédiatement pour lancer le hors bord. Et c'est là qu'intervient la deuxième erreur: j'avais laissé traîner la ligne à l'eau et l'hélice n'hésita une seule seconde à tire-bouchonner le crin jusqu'à en être prisonnière. Plus de vent et plus de moteur!
La marée, hélas descendait et le bateau que les vagues avaient poussé était maintenant inconfortablement gîté. Il fallait se sortir de là. Les plaisanciers à moteur et à fond plat qui passaient, tournaient ostensiblement la tête de l'autre côté dès que j'agitais le bras: inutile d'attendre de l'aide de ce côté-là. Je songeais donc à planter la pioche d'autant que le vent avait forci et que les vagues devenaient plus grosses. C'est alors que survient un aimable véliplanchiste, intéressé sans doute par la position peu avantageuse de mon esquif.
Ce garçon, très sympathique me proposa de prendre ancre et chaîne sur sa planche et d'aller la porter le plus au large possible afin que j'en sorte au plus vite. Trois heures plus tard, mon bateau flottait à nouveau et, sans demander mon reste, je me suis dépêché de tirer au large jusqu'à entendre la corne de brume de l'entrée de Ouistreham. Et si cette aventure me parut longue, elle le fut plus encore pour celle qui m'attendait désespérément au port.
La seconde histoire, survenue plus tard, présente un intérêt particulier puisqu'elle met en cause nos chers guides de navigation. Je vais d'abord vous la narrer mais ne manquerai pas ensuite de vous indiquer le nom du guide à éviter ainsi que celui de l'auteur de cet aimable manuel.
Cela se passe à Saint Vaast la Hougue. La route habituelle et sûre pour gagner le port en venant du nord passe par le sud de l'île de Tatihou, en parant le plateau rocheux par les bouées de la "Gavendest" et de la "Dent". Mais, pour un faible tirant d'eau, ce qui était le cas de mon bateau, il est possible venant de Barfleur de couper au nord de Tatihou par le passage du Run.
Ce jour là, rentrant de Cherbourg en escadre de trois bateaux et bon dernier du groupe, le temps étant clément, je décidai de prendre ce raccourci afin d'arriver à Saint Vaast en même temps que mes amis. Muni de mon manuel de navigation, mon fils à la barre, j'embouquai la passe le coeur léger et pas inquiet du tout.
Une première fois, la quille toucha le sable puis se dégagea. Après avoir vérifié que mon alignement était bien celui indiqué par le bouquin, je décidai de continuer. Mon beau frère, qui contournait l'île par le sud, eut bientôt le sentiment que je n'avançais guère, ce qui était le reflet exact de la réalité: je touchais à nouveau. Il me demanda donc ce que je fabriquais par VHF. "Je nettoie la quille!" Je restai persuadé, fort de mon bouquin que je touchais quelques ridins de sable sans conséquence pour la route à venir.
Hélas, après que mon fils envoyé à l'avant pour m'indiquer la route m'ai fait éviter quelques rochers, je dus me rendre à l'évidence: j'étais planté!!! Il fallu bien vite béquiller la coque avec les moyens du bord: tangon, aviron et manche à balai.
Il était 13 heures et la mer descendant toujours, il apparaissait évident que la route suivie m'avait mis au plain au plus haut du banc. L'après-midi se passa à transporter des ancres, des chaînes et des orins afin de tenter de sortir le bateau à la haute mer du soir vers une heure du matin. Dans L'après-midi, le site, directement accessible à pied depuis le port, fut un but de promenade pour les vacanciers qui se demandaient - à voix hautes - comment ces "cons" avaient fait pour venir s'échouer là. Nous nous tenions à distance pour qu'on nimagine point que nous étions les cons en question.
La nuit venue, le renflouement ne posa finalement pas de problème - si on accepte une ancre laissée au fond que nous revînmes chercher le lendemain - bien que le coefficient de marée fut moins élevé que le matin.
Les pratiques locaux, au vu du fameux manuel responsable de l'aventure me donnèrent les alignements à suivre. Je ne rapporterai pas ici tous les noms d'oiseaux dont ils gratifièrent l'auteur de ce pilote côtier mais je me souviens de la parole de ce vieux pécheur qui me dit avec un accent savoureux "avec ce bouquin-là, tout le monde se met au plain!"
Le bouquin en question, c'est "LA MANCHE" aux éditions Eskiss par Jean François AUMAITRE à qui j'ai conté ma mésaventure, ce qui ne l'empêche pas de continuer à vendre son livre sans rectificatif. Je ne sais pas ce que valent les autres entrées de port qu'il nous propose mais je peux dire que ce livre n'a gardé sa place à bord que pour mettre en garde les plaisanciers de rencontre.
IMAGES DES ANGLO-NORMANDES
Il n'existe en effet que peu d'endroits où se mêlent aux écueils une si grande amplitude de marée et de si violents courants. Je me souviens d'un passage du grand Russel où nous filions à cinq noeuds ce qui n'empêchait pas la côte de défiler dans le sens inverse de la marche! Vouloir lutter dans ces conditions ne sert qu'à épuiser l'équipage et la solution la plus sage consiste à mouiller.
Je n'ai pas l'intention de faire de ce chapitre un guide de navigation aux Anglos mais simplement d'offrir quelques images et anecdotes glanées au cours de mes nombreuses allées et venues dans ces eaux.
GUERNESEY. Le souvenir le plus tenace que je garde de cette île est la découverte que j'en ai faite la première fois que j'ai eu l'occasion d'aborder à Saint Peter. Arrivés à mi-marée, nous avons dû attendre la nuit pour pénétrer dans Victoria Marina. Ce qui surprend d'abord, c'est que les autorités portuaires ne donnent même pas le temps au malheureux arrivant de poser son aussière sur un corps mort qu'il s'agit déjà de régler les frais de port. Ceci dit, il arrive également qu'on ne puisse pas pénétrer dans la marina, faute de place et qu'il faille rester au mouillage ce qui met le corps mort à un prix prohibitif.
J'ai depuis longtemps trouvé la combine pour ne plus subir un tel sort, prétextant l'absence d'annexe et la nécessité d'aller à la banque pour pouvoir pénétrer dans la marina. Aujourd'hui, heureusement, les autorités locales ont fini par construire une marina au nord de l'ancienne pour les plaisanciers locaux, ce qui fait qu'aujourd'hui, il est rare de ne pas trouver de place à Victoria.
Pour en revenir à mon impression de Saint Pierre, nous sommes donc entrés de nuit dans ce port faiblement éclairé. Au matin, ce fut un véritable enchantement que la vue de ce havre superbe, avec ses maisons d'opérettes aux couleurs pastels: une symphonie de bleu, de rose, de vert amande, d'ocre clair. Tassées les unes contre les autres, étroites et hautes, elles consentent parfois à laisser le passage à un raide escalier conduisant à High Street. Là haut, c'est essentiellement le touriste qui est guetté avec les bijouteries, les caves ou le whisky est bon marché , les magasins de photo et de hi-fi. Mais le port lui, recèle nombre de pubs et de lounge bars où il fait bon boire une Sainte Mary, la bière locale de bonne tenue. Deux intéressantes adresses : Bucktrout, sur le port où lon achète le whisky à la tirette et André, le boucher français sous les halles dont la gentillesse et la faconde valent le déplacement.
Mais Guernesey fut aussi le lieu d'exil de Victor Hugo et Hauteville House, la maison qu'il habita abrite un musée plus qu'intéressant. Ce petit coin de territoire français - elle a été offerte par les édiles à la ville de Paris - est proprement stupéfiant. Dans son agencement et sa décoration tout d'abord. Chaque pièce y a été voulue très typée par notre grandiloquent écrivain. A l'exception du jardin d'hiver, petit salon de rotin blanc vitré dominant le parc et du cabinet de travail, véritable mirador surplombant la ville et tourné au delà de Sercq sur la France, tout ici est sombre et pompeux.
On apprend que Victor, ce cher grand homme n'hésitait pas à trancher des tapisseries des Gobelins ou d'Aubusson pour couvrir ses murs. Il ne s'embarrassait non plus de scrupules pour piller le patrimoine local: n'alla-t-il pas jusqu'à obliger le conseil de l'île à changer la porte de l'église car il souhaitait qu'elle prit place à l'entrée du grand salon de sa demeure! Je passerai sur la mégalomanie et l'obsession sexuelle du bonhomme afin de vous laisser les découvrir quand vous ne manquerez pas de venir visiter ce "monument".
Ce qui ne manquera pas d'étonner également le visiteur de Hauteville House, c'est de tomber sur le guide le plus farfelu qu'il m'ait été donné de rencontrer. Ce grand gaillard, jeune et gauche, déclare dans un français croustillant qu'il n'est, ni plus ni moins, que le fils spirituel de Victor Hugo. Selon lui, depuis la mort du poète, il reste le seul et unique représentant du socialisme transcendantal! Voilà un magnifique sujet de méditation et je dois avouer que l'on ressort de cette visite totalement abasourdi.
JERSEY. le port le plus joli de l'île me semble être Gorey. Enchâssé entre les maisons adossées à la colline, dominé par l'imposante forteresse de Castel Montorgueil, c'est un port très pittoresque qui présente malgré tout l'inconvénient d'être un port d'échouage avec les difficultés que cela peut présenter. Notre souvenir le plus marquant est sans conteste un soir où nous souhaitions appareiller et où nous nous sommes retrouvés avec un bout dans l'hélice dont le flot nous avait gratifié; Il fallut plonger pour couper cette amarre involontaire, ce qui retarda notre départ, remis au lendemain. Nous nous mîmes à couple d'un coquillier de Plymouth dont le patron et ses deux jeunes matelots vinrent dîner à notre bord. On pratiqua ce soir_là le troc de quatre bouteilles de vin rouge contre un énorme panier de crustacés et un sac de coquilles saint Jacques. Le pauvre Bryan, habitué au chalutier se fracassa la tête sur la bôme en regagnant son bord et, le lendemain matin il était encore allongé quand nous partîmes, en proie à un sérieux mal de crâne. Les mauvaises langues prétendent que la bôme n'y était pas pour grand chose!
Depuis cette anecdote, jai eu loccasion de retourner à Gorey et je dois vous donner un conseil amical. Si vous arrivez pour échouer le long de la digue, il ny a quune position le long du quai. Ne vous laissez pas manoeuvrer pour aller au mouillage si vous constatez la présence dun résident, cest à lui de prendre son mouillage et au voilier de passage dutiliser cet espace. Le capitaine du port saura dailleurs vous donner raison même sil vaut mieux parlementer avec lui avant de faire le ménage vous-même...
Un autre aspect intéressant de Jersey est le mouillage de Sainte Catherine, au nord est de l'île. En pleine nature, on trouve une digue immense dont on se demande bien pourquoi elle a été édifiée. Nous devons ce havre-là à l'antagonisme qui a régné entre Napoléon et les Anglais. Ces derniers, pour contrôler la flotte impériale, avaient décidé de construire deux ports importants sur les îles, un à Jersey et l'autre à Aurigny. C'est pourquoi on trouve aujourd'hui dans ces deux lieux, ces embryons de port qui trouvent leur utilité de nos jours avec la plaisance. Hormis cette digue et un pub, c'est un endroit désert, loin de tout mais d'un calme inégalable.
Par contre, je ne trouve aucun charme à Saint Hellier, la capitale de l'île. Tout y est vraiment conçu pour les centaines de touristes que vomissent les ferries à longueur de journée. Le commerce pour gogos est l'activité principale de l'île. Au niveau plaisance, heureusement une marina est maintenant implantée dans le coeur même de la ville. Autrefois la seule possibilité de rester en eaux profondes était de s'apponter dans la marina de la Colette, située à l'entrée du port, invisible et mal commode pour le plaisancier arrivant pour la première fois en ces lieux. Aucun commerce à proximité, un environnement de docks et de hauts murs, des abords peu amènes, surtout de nuit, et la ville à trois kilomètres, c'est le programme des réjouissances de cet endroit sordide dont le seul intérêt est de permettre l'attente de la renverse à l'abri, pour qui poursuit sa route vers Guernesey.
L'entrée du port est surveillée par une tour de contrôle avec baies vitrées et un feu rouge qui indique à l'arrivant de tourner en rond jusqu'à la sortie du ferry qui manoeuvre. Cette guérite de signalisation fut, lors d'une de mes rentrées à la Colette, l'occasion d'une scène assez cocasse. Ayant indiqué au barreur les modalités d'entrée, nous approchions doucement, l'oeil braqué sur un éventuel signe de la capitainerie quand j'avisais soudain un galonné dans son mirador agitant le bras levé au dessus de sa tête dans le soleil couchant. "On ne peut pas entrer... tourne en rond" dis-je soudain à l'homme de barre, ce qu'il fit consciencieusement. Après plusieurs ronds dans l'eau, le regard toujours fixé sur l'officier du port, il me fallut reconnaître qu'il n'avait pas l'intention de nous empêcher d'entrer mais qu'il procédait tout simplement au nettoyage de la vitre. Certains en rient encore.
Au cours de mes croisières et de la vie au port, j'ai eu l'occasion de rencontrer nombre de personnages qui sortaient véritablement du commun de la plaisance, soit par leur personnalité, soit par les programmes de navigation qu'il envisageaient ou avaient effectués. C'est de ceux-là dont je vais parler maintenant.
BOB, TOURDUMONDISTE
Au Havre, dans l'arrière port, se trouve le bassin de la Citadelle, bien connu de ceux qui préparent le grand voyage ou qui en rêvent. Certains d'entre-eux sont drôles, pittoresques, fantasques ou grands rêveurs.
L'un des plus curieux qu'il m'ait été donné de rencontrer s'appelle Robert, Bob pour les amis. Cet incroyable marin, le jour où je l'ai découvert, venait de descendre la Seine depuis Paris avec une goélette de 21 mètres en acier, construite entièrement de ses mains en cinq ans et pour 500.000 francs. De la découpe de la première tôle à l'installation de l'électronique de bord, tout a été réalisé par lui. Pour financer son rêve, Bob, ingénieur dans les pétroles a pendant toutes ces années, travaillé six mois pour ensuite suer sang et eau sur sa coque.
Le résultat est extraordinaire: manger à douze autour de la table du carré ne présente aucune gène. La cuisine, latérale et indépendante du carré possède un équipement de première classe : four classique, four micro-onde, machine à laver, congélateur. Côté navigation, une véritable chambre de navigation avec fauteuil en cuir devant la barre à roue et table à carte immense, le nec plus ultra de l'électronique: Decca, Loran, Toran et GPS, radar, VHF, BLU, gonio automatique. Sans parler d'un véritable atelier avec perceuse, poste de soudure et tutti quanti.
Côté confort, cinq cabines particulières avec des menuiseries somptueuses en teck et acajou, grand lit double, douche chaude sous pression, bibliothèque de bord amplement garnie des ouvrages de référence des voyageurs zigzagodromiques.
Sur le pont, barre à roue pour les beaux jours, annexe avec moteur de 65 chevaux, équipement de plongée, planches à voiles (deux ! c'est mieux) salon de pont.
Le jour donc ou plutôt le soir où j'ai découvert tout ceci, j'y avait été amené par un autre vagabond des mers, Paulo le légionnaire dont je parlerai plus loin, et qui voulait me présenter l'équipière sublime, expérimentée et munie de cinq bâtons que Bob avait déniché. Mais hélas la sirène venait tout juste de quitter le bord en courant...
Bob, en effet, peu expérimenté, et j'irais même jusqu'à penser pas du tout, et sans doute effrayé à la perspective de quitter nos côtes sans une présence féminine à bord avait recruté par l'entremise des petites annonces de "Voiles et voiliers" une équipière bien sous tous rapports... Enfin presque puisqu'aussitôt arrivée, elle avait fait savoir au captain qu'elle envisageait bien de faire la navigation, barrer, faire la cuisine, réduire la voilure mais que pour la tendresse, c'était niet !
Robert avait juré ses grands dieux marins que, bien sûr, il n'avait aucune arrière pensée à ce sujet. Donc, la veille du soir dont je parle, on avait largement utilisé la réserve financière de la dame pour remplir le réservoir de fuel - 650 litres - ainsi que pour faire un avitaillement correct de 8500 francs. Mais Robert, émoustillé par cette présence féminine, avait souhaité pousser l'avantage que lui conférait sa position de chef de bord. Il était ressorti de la cabine de la dame le visage griffé et la belle avait filé abandonnant sa mise de fond, trop heureuse d'échapper au satyre tourdumondiste.
"Quel con, disait Paulo, tu ne pouvais pas attendre d'être en pleine mer !"
On s'était rapidement consolé en attaquant un jambon de Bayonne avec une bouteille de bordeaux... et Bob avait finalement décidé de larguer les amarres le lendemain matin. Il faut ajouter que sa situation ne lui permettait guère de faire autrement: son seul équipier à bord était son fils insoumis et planqué dans la cale et, lui-même avait délesté une banque de 300.000 francs espérant être pris en charge par une compagnie de charter. Bref, il était urgent de tailler la route.
Le lendemain matin, par un beau soleil, nous avions largué les amarres de la goélette et vogue la galère...Bon vent Robert et bon voyage.... Le lendemain matin, occupé à l'entretien de mon canot, j'eus soudain la surprise en levant la tête de reconnaître passant au dessus de la digue, les pommes de mats du bateau de Bob, rentrant au port. Nous nous précipitons donc, Paulo et moi dans l'arrière port pour attraper les amarres de Robert qui commence à raconter sa galère de la nuit.
Partant pour l'ouest, il avait tout naturellement tiré un bord au 270 bien que pour passer Cherbourg il eut fallu monter plus nord... La nuit venant, Bob avait souhaité se rapprocher de la côte et là, il avait constaté que le compas sur fût, compensé dans la semaine par un professionnel, indiquait hélas toujours le 270... inquiétude puis angoisse de Robert qui avait finalement décidé de faire demi tour: cap 270 toujours !
Et nous étions là, dubitatifs devant ce grand compas avec ses masselottes de compensations mais qui était invariablement scotché sur le 270... Soudain, on finit par aviser à côté dudit compas cinq grands tiroirs et nous demandons au capitaine ce qu'ils contiennent. "Les cartes des cinq continents" dit-il fièrement en les ouvrant. Stupeur, pour tenir fermé ces tiroirs, la veille du départ, il avait installé des loqueteaux magnétiques les plus grands qu'il ait pu trouver et avait donc rivé littéralement la rose de sa boussole...C'en était trop, démoralisé Bob décidait illico de mettre la goélette en vente pour payer ses dettes... Adieu le grand voyage.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Robert était un obstiné et si prêt de réaliser son rêve, il trouvait véritablement douloureux de s'arrêter là. Quelques temps plus tard, le voilà de retour au Havre, rayonnant: il avait trouvé une boîte de charter américaine décidée à éponger ses dettes et à le prendre sous contrat pour quatre ans... Mais Bob s'était bien rendu compte que partir seul n'était pas raisonnable aussi arriva-t-il à convaincre Paulo à partir avec lui. Banco dit Paulo, deux mois de préparatifs et c'est bon.
Afin de mener les travaux sans perte de temps, ils me demandèrent si j'acceptais de prêter mon indicatif VHF afin qu'ils puissent téléphoner du bord, leur VHF n'étant pas déclarée... Pendant deux mois donc, ils remboursèrent rubis sur l'ongle les factures que je présentais. J'assistai à la dernière soirée où l'on décidait de la route. Paulo ne pouvait pas mettre les pieds en Espagne car interdit de séjour là-bas tandis que Robert semblait indésirable au Portugal et aux Açores. Autant dire qu'il semblait délicat de déterminer les escales.
Un mois après leur départ pour le Venezuela, je reçus une facture de VHF très conséquente... Sans doute dans l'euphorie du départ avaient-ils "oublié" ce léger détail ! Inutile de dire que je ne reçus jamais la carte postale promise au départ.
Je fus convié à la veille du départ à un dernier repas où lon discutait notamment de la route à suivre. Bob proposait daller jusquà La Corogne. " Impossible " dit Paulo " je suis recherché en Espagne pour avoir tiré quelques coups de feux dans un bistrot, on peut aller directement aux Açores ". " Je ne peux pas " dit Bob " je suis interdit de séjour au Portugal ! "...
Dans lespoir dun départ futur, je posai des questions de béotien cherchant à savoir comment ils allaient gérer leurs impôts. Paulo partait sans laisser dadresse. Quant à Bob, il avait réussi à obtenir la nationalité algérienne ce qui lui permettait de disparaître dans la nature... Curieux aventuriers.
PAULO LE LEGIONNAIRE
Voilà encore une figure de la plaisance dont je viens déjà de parler précédemment, qu'il est intéressant de rencontrer. Dans le port du Havre, sur un canot de 22 pieds, vivait un type marrant et sa femme avec qui je me liais rapidement d'amitié.
Pas très grand mais râblé, ce blond joufflu, rigolard et tatoué m'apprit rapidement qu'il était capitaine de pêche dans le civil, ancien légionnaire de la légion étrangère et dans l'instant occupé à vivre tranquillement sur son bateau entre deux convoyages.
Quand je le rencontrai, il venait de rentrer au Havre avec un Joshua qu'il ramenait des Antilles. Arrivé en rade par force 9, il avait tout d'abord mis à l'ancre mais la force des vagues ayant rompu le mouillage, il avait dû capeyer toute une nuit devant le port avant de pouvoir enfin rentrer à l'abri.
Ce garçon était passionnant dans le récit des différentes rencontres qu'il avait eu l'occasion de faire tout autour du monde, de Tabarly au plus discret tourdumondiste. Nous passions, dans la chaleur de son carré, des heures superbes où il racontait les tempêtes, les galères, le rayon vert...
Mais parfois, le vernis du marin s'écaillait pour laisser poindre les souvenirs de la légion. Un jour où nous étions à mon bord, un dialogue très drôle s'installa entre une amie et Paulo. Elle avait dit, dans la conversation qu'elle avait été à Djaména avec la croix rouge pour soigner les belligérants de la guerre du Tchad.
Soudain Paul se mit à délirer, les yeux exorbités, expliquant que les blessés que Christiane avait à soigner, c'est lui qui lui envoyait. Il expliquait que "quand on arrivait dans une grotte, on voyait des yeux blancs qui nous regardaient et on collait un grand coup de lance flamme dans le tas". Comme elle s'offusquait, Paul se prit au jeu et en rajouta tant que je n'ai jamais revu Christiane qui ne m'a jamais pardonné la fréquentation de Paulo.
Ceci étant, il avait des qualités nautiques indéniables. L'histoire qui va suivre le prouve aisément. Il est parti un jour chercher un bateau en Guadeloupe qui avait fait en location la transat des Alizés. Arrivé là bas, il avait constaté que le bateau était dans un état lamentable. Néanmoins, Paulo décide de partir.
Au bout de trois jours, le pilote automatique rend l'âme. Paul décide tout de même de continuer. A la fin de la première semaine, le pont se décolle au niveau de l'étai de la coque comme une vieille godasse ouverte. Il fait une réparation de fortune mais n'est pas au bout de ses peines puisque tous les éléments électriques du bord cèdent les uns après les autres.
Mais le plus difficile est à venir. Passé le pot au noir, il se trouve soudain confronté au cyclone Emilie: 80 à 90 noeuds en fuite d'abord puis à la cape sèche ensuite. Presque deux mois pour atteindre les Açores et le bar rassurant de Peter Azévédo. Bref, au retour Paulo avait perdu 17 kilos.
Paulo, comme je l'ai dit précédemment est parti et je n'en ai plus jamais eu de nouvelles mais il m'a donné avant son départ un écusson des Açores ainsi que la carte de l'Atlantique avec le tracé des deux transats dont j'ai parlé et je la garde comme le plus beau des trophées dans ma table à carte.
GEORGE LE MARINE
Un des marins les plus agréables à fréquenter que jai rencontré est américain et sappelle George C. Coburn. Cest par un froid matin de fin dhiver que jai fait sa connaissance ainsi que celle de sa compagne, Théresa. Le port du Havre, à cette saison, ne reçoit guère de plaisanciers de passage et javais été attiré par ce beau sloop battant pavillon américain. Jétais en train de ladmirer quand le propriétaire, un géant barbu apparu sur le pont. Demblée, il sadresse à moi dans un anglais incompréhensible avec un accent épouvantable. Avec mon anglais scolaire, je ne comprenais strictement rien de ce quil souhaitait me dire mais je pigeais néanmoins que jétais invité à monter à bord.
Cest donc devant un savoureux bourbon qui aida largement à la compréhension de la langue que George commença à me narrer son histoire. Après une carrière de marine dans larmée américaine qui lavait conduit au Vietnam, il avait conclu son engagement comme officier instructeur et se retrouvait donc à 42 ans en retraite avec une confortable pension. Passionné par la mer depuis toujours, il avait donc décidé de réaliser son rêve : partir. Mais à Houston où il vivait, sa femme légitime ne souhaitait pas quitter la terre ferme. Qua cela ne tienne, George décida de chercher la compagne idéale au voyage. Une annonce dans diverses revues de voile et Théresa apparue. Elle était avocate à New York et en avait ras le bol.
George décide donc dune première virée pour vérifier les qualités nautiques de Théresa. Direction les Bermudes. Le test sétant révélé positif, le grand départ est décidé. Le bateau est un canot en plastique, le " Goose " que George a acheté coque nue et quil a merveilleusement agencé avec des bois précieux à lintérieur. Particulièrement travaillée, la table à carte est magnifique. Elle est prolongée vers le plafond du roof par une barre sculptée qui sert de main courante en navigation. Et cest dans ce carré chaleureux que George, aidé de Théresa qui parle un peu le français me raconte son voyage.
Quand je les rencontre donc, ils ont quittés Houston depuis deux ans déjà. Après avoir doublé la Floride, ils sont remontés vers le nord des USA par les Bahamas jusquà la baie de Chesapeake. Ensuite, le temps nétant pas très clément- froid et brouillard -, ils ont finalement renoncé à aller jusquà New York que Théresa aurait voulu revoir et ont filé vers des terres plus ensoleillées. Hélas, un cyclone tropical, " Claus " les attendait sur la route pour leur gâcher quelque peu le voyage. Pris dans des vents de force 9 à 10, " Goose " a démâté. George a alors confectionné un gréement de fortune pour rejoindre les Bahamas. Cest là quest intervenu une anecdote que George me racontait plus dun an après avec encore une intense colère dans la voix. A une dizaine de jours de leur arrivée aux Bahamas, ils virent arriver sur lhorizon un yacht de grande taille, sans doute propriété dun magnat quelconque. George déjà se réjouissait dune remorque passée... Le yacht sapproche donc de " Goose ", tourne autour. George fait des signes mais constate quà bord de la grosse vedette les plaisanciers se réjouissant dun spectacle fortuit et inattendu, mitraillent à tout va avec leurs appareils photos japonais. Puis, ayant emmagasiné leur content de photos, le yacht remet les gaz et les laissent pantois, furieux, une fois de plus écoeurés de ces bouffeurs de fuel.
Enfin arrivés à Nassau, après quelque attente, un mât nouveau est gréé et ils peuvent donc se décider à traverser la mare aux harengs. La première étape fut les Bermudes pour samariner et ensuite, le grand saut direction lIrlande. George me raconte alors ses points au sextant et me montre le mini ordinateur Sharp qui lui a simplifié les calculs en cours de route, une petite merveille qui permet les calculs de longitude et latitude, de la route - longueur et cap - , avec correction des dérives vent et courants. Pour la première fois, je voyais également les fameux Pilot Charts détaillant les directions et forces de vent en fonction des périodes de lannée, mois par mois.
La traversée se termine donc en Irlande où latterrissage se fait à Bantry Bay. Ensuite cest Kinsale puis Cork. Puis, George aborde aux Scilly, double Lands End et la Cornouaille, le cap Lizzard, Falmouth, Plymouth, Dartmouth pour achever son voyage en Angleterre par Porsmouth et lîle de Wight. Et cest donc au Havre que nous nous rencontrons. Ils me disent avec enthousiasme la découverte de petits restaurants du quartier Saint François après lépouvantable cuisine anglaise.
Désirant poursuivre leur voyage par une traversée de la France par les canaux, jaide George à démâter et nous passons ensuite une semaine à Rouen, au bassin Saint Gervais. Jen profite pour leur faire visiter la ville, les emmener jusquà Etretat, leur faire découvrir la campagne normande et ses abbayes. Chaque matin, je passe sur le " Goose " pour un brunch traditionnel. Cette semaine passe trop vite et nous nous séparons un petit matin ensoleillé.
Nous nous retrouverons quelques jours plus tard au port de la Bastille à Paris doù ils partiront enfin pour une traversée de la France profonde jusquà Port Saint Louis du Rhône. Ensuite lEspagne, les Canaries et traversée par les alizés jusquà la Jamaïque. Cest de là que je recevrai des nouvelles deux. Puis, de retour à Houston, George a construit un sloop en acier de 18 mètres avec lequel ils naviguent à présent en mer de Chine... Merveilleuse rencontre que celle de George C Coburn, ce géant rieur et amical dont lamitié ne sest plus démentie depuis notre rencontre
PIERROT LE FOU
Jai rencontré Pierrot pour la première fois, un froid matin de février, dans le port de plaisance rénové du Havre. Cétait le lendemain du naufrage du Snekkar Artic où plus dune dizaine de marins de Fécamp avaient péri. Le port de la SAEM Plaisance était passé de 3 à 7 pontons et nous étions les premiers puisque nouveaux dans ce hâvre tout neuf à obtenir une place pratiquement face à face. Pierre arrivait de Saint Vaast et moi de Ouistreham et avions choisi Le Havre pour ses capacités de navigation. Je vois donc arriver à mon bord cet individu encore jeune, avec des yeux dun bleu indéfinissable mais déjà grisonnant qui me demande à brûle pour point si je ne possède pas une pointe à bord. Oui, jai ça dans ma boîte à clous. Je lui prète donc une pointe de 180, peu intéressé au départ de ce quil veut en faire et persuadé quil me la rapportera. Mais le temps passe, et je ne vois pas revenir ma pointe.
Quelque temps après, nous nous retrouvons et buvons un coup ensemble. Le tutoiement sétant naturellement instauré entre nous deux compte tenu des milles effectués chacun de son côté, je lui demande ce quil a bien pu faire de ma pointe de 180. Je le vois soudain virer au vert : " parce que il fallait que je te la rende ? " Je bafouille un " oui " géné, que cette pointe était en fait laxe de ma clef à bougies et que je me demande bien ce quil a pu en faire sur un canot. " Mais, viens voir " me dit-il.
Et en effet, je vois, cet individu extraordinaire dans le vrai sens du terme sétait servi dune pointe de 180 pour consolider une cloison de 10 mm dépaisseur qui bougeait. Imaginez ma stupeur... Pierre néanmoins a senti mon désarroi devant la perte de mon clou et me propose donc de men apporter un autre. Mais quelle ne fut pas ma surprise revenant trois semaines plus tard de constater quil avait délicatement posé une pointe semblable à la mienne qui trônait désormais au centre dune tache de rouille qui me donna bien du souci pour retrouver un cockpit impécable.
Pierre devint rapidement mon ami et nous avons donc navigué ensemble de plus en plus souvent. Cest un être délicieux, fin lettré et dune rare intelligence mais il vit très souvent dans un monde à lui, monde de rêveur et de poète qui lui a valu ce surnom de Pierrot le Fou. Et son attitude est parfois jugée curieuse par son entourage. Exemple : comme pour tous ceux qui naviguent, lutilisation de leau à bord ou au port est généralement comptée et nous ne procédons le plus souvent quà des ablutions sommaires. Pierre également mais, il prend par contre un soin tout particulier à ses dents quil brosse plusieurs fois par jour. Très bien, mais il oublie d'ordinaire de sessuyer la bouche et peut donc passer la journée maquillé comme un skieur de haute montagne. Tout cela nest pas forcément agréable pour le voisinage surtout au moment des repas. Mais cela ne le dérange pas lui, alors ?
Je nai jamais non plus, dans tous les navigateurs que jai côtoyé, rencontré quelquun qui nait le pied aussi lourd que lui. Sans doute a-t-il gardé de son passé de montagnard le pas pesant du randonneur de haute montagne chaussé de godillots massifs. De la même façon, il ne sait pas monter à bord sans se hisser à un hauban ce qui a pour effet immédiat de provoquer un coup de gîte désastreux pour les verres posés sur la table du carré.
Il me faut aussi vous conter cette anecdote savoureuse des lentilles de contact que ma rapporté un ami commun. Un jour de piaule, Pierrot était à la barre, encaissant embruns sur embruns quand soudain il pousse un cri - car Pierre peut avoir aussi parfois à brûle pourpoint le verbe fort - il pousse un cri donc " merde... ". Franck, lami qui laccompagne monte du carré avec inquiétude se demandant quelle galère leur arrive, sattendant au pire : " Quest ce qui se passe ? ". " Jai perdu une lentille de contact ", dit Pierre. Inutile de la chercher au fond du cockpit noyée par la mer, les dalots crachant la flotte à torrent... Franck redescend faire la navigation. Un bon quart dheure passe. Soudain, nouveau cri de Pierre, nouvelle montée de Franck sur le pont. " Je lai retrouvée ", dit Pierre qui soulevant la paupière remet en place ladite lentille baignée deau de mer sans autre forme de précaution. Cest tout Pierre.
Mais, quon ne sy trompe pas, Pierre cest aussi un marin aux longues trottes en solitaire, traversées de la Manche, Camaret-Cherbourg dans la piaule avec Raz Blanchard en prime. Une fois, il a galéré sous la côte anglaise pendant vingt heures en louvoyant avant de mettre sa pioche dans un port à deux heures du matin où les douaniers locaux - ça, cest anglais - ont tenté de lui demander les papiers du bord. Après les avoir proprement envoyer se faire voir au pub du coin, il a refermé son capot et sest endormi du sommeil du juste navigateur.
Pierre est aussi le seul de mes proches qui ait eu à subir un naufrage dont je fus un peu linstrument involontaire et aussi le témoin. Par un triste 21 janvier, anniversaire de la mort de Louis XVI, ce qui na rien à voir avec ce qui est survenu ce jour là, jétais rentré à Deauville dans laprès-midi par une marée de 117 et déjà juste pour mon tirant deau. Parti depuis trois jours et sachant que Pierre viendrait naviguer au week-end, je lui avais glissé un mot dans le bateau lui donnant rendez-vous ce samedi-là dans le port de la côte de nacre. En discutant quelques temps auparavant avec lui qui ny mettait jamais les pieds, préférant monter vers le nord, je lui avais indiqué que lon y rentrait pratiquement tout le temps, cest-à-dire environ 10 heures sur 12. Mais bien entendu, chacun aura noté le coefficient de ce jour-là qui impliquait une restriction par rapport aux conditions habituelles.
Fort de mes conseils antérieurs, Pierre, arrivant au Havre tardivement, partit, écoute dans le coin, pour nous rejoindre à Deauville, sans ouvrir un document, sans déplier une carte, tout au feeling, cheveux au vent. Un peu inquiet de ne pas lavoir vu arriver, dans laprès-midi, je décidais daller jeter un oeil sur la digue. Horreur, devant la perche datterrissage, un voilier était beaché, tossant dans les rouleaux. Un coup de jumelles et le doute nétait plus permis : Pierre était au sec ! Déjà les pompiers étaient sortis avec un zodiac afin de proposer leurs services. " Que nenni ", dit Pierre, " jai mouillé une ancre et je me déhalerai à la marée ". Mais, le vent commençait à monter à 20, 25 noeuds, les déferlantes, habituelles sur cette côte exposée, commençaient à balayer le pont et, détail non négligeable, nous le verrons après, à noyer le hors-bord. Le bateau tossait de plus en plus. Pierre en marin avisé, décida en toute sécurité, le vent atteignant à présent 25 noeuds de ne pas rentrer à Deauville mais de repartir, vent de travers vers Le Havre.
Mais hélas, il nétait pas au bout de ses peines. Il avait à peu près fait 3 ou 4 milles quand le mât, fragilisé par le tossage du bateau, sabattit. La nuit était déjà bien noire avec ce ciel bas et chargé. Le premier réflexe de Pierre est bien sûr de mettre le moteur en marche. Mais celui-ci savère noyé. Le bateau part en dérive. Il faut tout dabord larguer le mât qui tosse dangereusement contre la coque et risque à tout moment de la percer. Cela prend du temps et rapproche dangereusement lesquif de la terre. Quand cest fait, le canot est déjà à nouveau devant lentrée du chenal ou capeye un chalutier en attente de la marée. Ceut été sans aucun doute la seule chance de Pierre déviter le naufrage mais il nenvoie pas assez tôt une fusée, persuadé que mouiller peut être la solution. Le mouillage principal est envoyé et casse instantanément. Il ne reste que les fusées et il en envoie une. A ce moment, accagnardés dans le " Vieux Bout " mon bateau de lépoque, je suis à lécoute de la VHF et jentends soudain ce " May Day " fatidique. Nous suivons à mon bord ce qui se dit et sommes très inquiets. En effet, le bateau de Pierre " Baguen Hir " - grande gueule en breton - ayant des feux en tête de mât et lespar étant tombé, il file invisible dans la nuit noire pour les secours qui le cherchent...
A bord, Pierre a compris depuis un moment quil va faire côte. " Choisissez une plage de sable de préférence " dit la Bible des Glénans. Dieu merci, à Trouville et à Deauville, il ny a que cela. Mais, passant le chenal, le canot de Pierre talonne néanmoins sur lenrochement Est. Pierre lance son deuxième mouillage quil a gréé en catastrophe. Hélas, celui-ci casse également et il ny a plus rien à faire que de prendre contact avec le sable. Un gars qui promène son chien sur la plage se précipite pour aider Pierre à sauter à terre. Cest fini... " Baguen Hir " tosse sur le sable sous lassaut des déferlantes.
Un peu plus tard, alors que nous écoutons angoissés la VHF où les secours indiquent quil ne trouve pas le voilier en détresse, le panneau du carré souvre et Pierre tel un zombie de la mer fait irruption dans le carré. Il bafouille " Les gars, vous savez quoi, jai naufragé! ". L apparition est dantesque : revêtu de sa combinaison polaire, coiffé de sa cagoule que surmonte une lampe Petzl encore allumée, il ruisselle de sable et deau et sécroule sur la banquette. Nous prévenons immédiatement les secours par VHF que le " naufragé " est à notre bord et nous empressons de le sécher rapidement et de le réchauffer avec un verre de tisane écossaise.
Arrive alors sur le catway toute la fine fleur locale du sauvetage en mer : gendarmes, pompiers, SNSM et divers curieux ayant suivi laffaire à la radio ou visuellement. Tant est si bien que le catway plonge à leau sous le poids de tous ces visiteurs. Je demande donc que lon recule et que pénètrent dans le " Vieux Bout " seuls les gens nécessaires à linévitable enquête. Deux gendarmes entrent donc dans la tiédeur du carré car, dehors, il nest pas loin de geler. La porte refermée, jinvite les pandores à quitter leur képi et cest autour dun bon whisky que les représentants de lordre rédigent leur pensum. Ils repartiront réconfortés mais cette nuit-là, ils ne pratiquèrent pas de contrôle antidopage.
Au matin, nous partons avec Pierre voir lépave qui aura déjà été pillée dans la nuit. Il ne reste plus de taquets, il manque un winch et les drisses ont disparu. Quand nous ouvrons le bateau, cest hélas la désolation. Au petit matin, les vagues déferlantes ont tapé la coque alors que la quille était déjà prise intégralement par le sable : il y a un mètre deau dans le bateau et plus rien à faire pour " Baguen Hir " qui restera plus dun mois au plus haut de la plage, sétant échoué par une marée de 117. Il sera impossible de la tirer vers la mer et seule une grue à chenille venue de la région parisienne parviendra à le sortir de sa position délicate. Nous sauverons néanmoins la poule qui cuisait dans la cocotte minute au moment du naufrage et nous la mangerons à notre retour au Havre. Pierre moffrira également son tangon et son spi qui sont, encore aujourdhui, ceux qui maccompagnent dans mes navigations.
A propos de poule au blanc, il me faut dailleurs raconter une savoureuse histoire. Pierre ayant découvert à mon bord les vertus de ce plat dhiver délectable nous proposa un soir de le déguster à son bord. Quelle ne fut pas notre surprise quand nous arrivâmes à la carcasse de constater que le gallinacé navait pas été vidé. " Enfin, Pierrot ", lui dis-je ", il faut prendre une poule PAC, cest-à-dire " prête à cuire ". " Ah, bon " dit-il, " je ne savais pas mais la prochaine fois, jachèterai ça! ". Quelque temps plus tard, dégustant à nouveau notre plat dhiver favori, nous avons pu effectivement constater que la leçon avait portée puisquen sortant la poule cuite de la cocotte, nous retrouvâmes létiquette PAC que Pierre avait cuit avec la poule!.
Historiette succulente aussi que celle dont nous fûmes le témoin un matin de printemps dans le Vieux Bassin de Honfleur. Nous avions prévenu Pierre de la nécessité dêtre prêts à 6 heures précises pour passer la porte dans la mesure où les éclusiers nattendraient pas. Vingt minutes avant lheure fatidique, Pierre largua ses amarres et se mit à tourner dans le bassin. Mais, alors quun plaisancier ordinaire aurait doucement progressé vers le pont, Pierre se mit à tournoyer à grand renfort de hors-bord, poussé à fond. Cétait une scène hilarante digne des meilleurs dessins animés et dont nous rions encore...
GILBERT LE VIKING
Cest par une nuit bien sombre et venteuse que jai fait la connaissance de Gilbert. Un bon 8 douest et un ami à bord très désireux de naviguer mavaient fait choisir de passer une nuit à Honfleur. Compte tenu du temps, je ne mattendais pas à trouver grand monde dehors mais, mapprochant du quai, je me rendis compte quun canot attendait lui aussi louverture de la porte du Vieux Bassin. Je me décidai donc à me mettre à couple.
Un gars sort du carré en entendant notre arrivée et je reconnais un ami, Lionel qui informe aussitôt son chef de bord quun marin connu arrive bord à bord. Cest alors que je vois sortir des entrailles de son bateau un géant jovial et gouailleur. Nous nous saluons et un respect mutuel est déjà perceptible, chacun dentre nous sentant inconsciemment la qualité du marin qui navigue un soir dautomne et par fort vent. Nous nous retrouvons donc bientôt dans la chaleur de mon carré où je découvre à lécouter, un vrai marin, un baroudeur... La soirée est bien avancée quand il me fait les honneurs du carré du " CLODO " car ainsi se nomme son bateau.
A le voir, on ne doute pas dailleurs que ce nom ait été choisi par hasard : un hard-top en tôle avec bulle, les aussières pendues de chaque côté du mât sur les balcons de pied de mât, les pare battages crochés sur un imposant arceau arrière, cest véritablement un bateau que lon ne peut manquer de remarquer. Il sagit dun Cobalt en acier, sur plan Langevin, ce qui parle de prime abord aux marins confirmés. Il trimballe ses 10 tonnes allègrement et jai, depuis, eu mainte fois loccasion de men rendre compte.
Jai donc, après cette rencontre mis Gilbert au nombre déjà élevé des marins de rencontre qui comptaient pour moi, mais je nai pas pendant quelques temps eu la chance de le voir très souvent. Heureusement, les déesses de la mer veillaient et le grand rassemblement de lArmada de la Liberté à Rouen en 1994, permis que nous nous retrouvions et que nous nous estimions, je pense, définitivement.
Qui rencontre Gilbert sent immédiatement la dualité de cet homme. Il est, dans son enveloppe extérieure le véritable viking dont le cinéma nous a gratifié. Cest loriginaire de la Manche, dont il parle avec amour. Mais, il est surtout un être doué de qualités de coeur extraordinaires, toujours prêt à rendre service, à enseigner son savoir nautique, à distiller des conseils de première importance. Je dois dire quà son contact, malgré mon bagage nautique, jai appris souvent dans le même temps où il ne cesse de vanter mes qualités de marin.
Gilbert est aussi un merveilleux conteur qui a toujours une anecdote savoureuse à offrir. Je nen citerai quune mais qui est bien singulière. Un jour, naviguant par mer formée, après lingestion dun haricot de mouton de bonne facture - car Gilbert aime la bonne chair - les équipiers se mirent à appeler Raoul avec insistance. Pas de problème pour mon ami qui a une longue pratique de la navigation en solitaire. Mais, hélas, les équipiers malades navaient pas eu le temps de se précipiter aux filières. Gilbert se prit soudain pour un champion de patinage artistique car le haricot de mouton, cest bien gras ! Le pont du CLODO était soudain devenu une véritable patinoire.
Depuis, jai eu la possibilité de naviguer vers les anglo-normandes avec lui et ce fut une véritable leçon de navigation. Gilbert est comme un poisson dans leau dans les forts courants de la Manche Ouest et il utilise les côtes et leur flux de vent en côte pour propulser son lourd canot. Il ma également donné une merveilleuse démonstration déchouage au port de Gorey par sa seule observation de la technique des pécheurs : deux gueuses dacier sur chaque amarre et une cravate au mât bien pensée et le tour est joué, il ny a plus aucun réglage à faire pour que se pose le canot.
Tel est Gilbert accompagné de sa charmante compagne, chaleureux, accueillant, amical et compétent. Si vous rencontrez le CLODO, arrêtez-vous !
LA NUIT LA PLUS FOLLE DE MA VIE
Nous étions à table, dans le bateau de Paulo, quand cette nouvelle est tombée. Soudain Paul me dit de regarder le baromètre qui chutait à vue d'oeil. Nous décidons d'achever rapidement notre repas afin d'aller sur le ponton visiteur renforcer l'amarrage d'un ketch qu'il avait ramené des Antilles la semaine précédente. Les catways de part et d'autre étant libres, nous réalisons une véritable toile d'araignée sous le regard goguenard des responsables du Havre Plaisance.
A ce moment, il est 15 heures et le vent est rapidement monté, 40 noeuds environ avec rafales. Pendant ce temps, le baromètre continu de descendre inexorablement. Nous commençons à comprendre que la nuit va être très dure mais n'imaginons pas néanmoins ce qui va nous tomber sur le râble.
Quand arrive le repas du soir, nous avons paré nos canots en doublant toutes les amarres. Nous sommes étonnés de ne pas voir grand monde venir en faire autant. Le centre dépressionnaire est sans doute situé sur la pointe de Bretagne car nous avons un vent plein sud, inhabituel.
Vers 20 heures 30, nous sommes prêts à supporter ce qui devient une tempête, les vents atteignent déjà 60 noeuds. Bottes, cirés, veste de quart et harnais, c'est ainsi que Paul et moi sommes accagnardés au fond de son bateau gîté à 15, 20 degrés. Les canots commencent à cogner sur les catways sous le vent. Premières sorties pour attacher quelques amarres sur le ponton J. Le bruit du vent est infernal maintenant et le bassin commence à devenir lugubre.
A 22 heures, nous commençons une sortie en direction du ponton visiteur pour voir ce que devient le ketch isolé en bout de panne. Dans le bassin, le clapot atteint un mètre et c'est, bras dessus, bras dessous, que nous progressons sur les pontons, comme deux poivrots. Des amarres cassent un peu partout, des voiles, mal rabantées se mâtent et nous intervenons au mieux.
Le vent est monté d'un cran, plus de 60 noeuds à présent et il devient de plus en plus difficile de progresser: les balcons avant ainsi que les bornes d'eau et d'électricité constituent heureusement des garde fou sans lesquels nous serions précipités dans l'eau. Chacun regagne son bord où nous restons en veille sur la VHF afin de garder une liaison. Je triple les amarres du VIEUX BOUT qui tape avec violence sur son catway, gîté à mort. Le bateau devient très inconfortable et la peur s'installe aux tripes.
Vers 1 heure du matin, le vent redoublant, je récupère le moindre bout qui traîne à bord et vais doubler les amarres des bateaux voisins. J'appelle Paulo et nous décidons d'une nouvelle sortie vers les pontons les plus exposés. Les vagues passent alors au dessus de la digue et le flot, blanchi d'écume, fait bouillonner le bassin comme un chaudron. Plus possible alors de se tenir debout, c'est en rampant sur le ponton visiteur, encordés tous les deux et en crochetant nos harnais que nous progressons. A mi-ponton un sloop en bois d'une dizaine de mètres a rompu ses amarres. Il n'est plus retenu que par une pointe. A plusieurs reprises, Paul et moi tentons de monter par la proue mais le clapot qui atteint 1 mètre 50 nous en empêche.
Nous retournons au VIEUX BOUT et j'appelle en VHF la capitainerie pour demander de l'aide. Hélas, un cargo et un minéralier sont échoués dans le fond du port de commerce et les autorités du port ne peuvent nous être d'aucune aide. Nous ne pouvons plus rien pour ce pauvre bateau. Heureusement, au matin, la pointe avant aura tenue et seul le bordé aura un peu souffert.
Il est à présent 3 heures du matin... Pendant plus de 20 minutes, assis dans mon cockpit, j'ai vu mon anémomètre bloqué à 60 noeuds, j'apprendrai que le sémaphore de la Hève a enregistré 212 kilomètres/heure... Je ne tiens plus dans le canot et décide d'aller me réfugier dans ma voiture.
Je somnole dans la R16, ballotté, le sable fouettant le pare brise avec violence. Soudain j'avise une 4L, capot levé marchant en crabe qui vient vers moi. Je n'ai que le temps de dégager ma voiture et la 4L vient mourir dans le caniveau. Avec quelques marins pêcheurs venus surveiller leurs amarres, nous la bloquons contre le parapet longeant le port.
Ensuite, je vois une table de jardin décoller du cinquième étage de la résidence de France pour venir en tournoyant comme une feuille morte s'éclater dans l'eau du port. Je quitte la voiture et décide de marcher vers la mer. Dans l'anse de Joinville, plusieurs bateaux sont blessés. Le KELT BRAZ, ayant rompu une aussière a déchiré son brion sur le ponton, plus loin un requin en acajou a sombré.
Remontant devant la SRH, je vois un First class 8 s'envoler de sa remorque, le mât pénétrant par une fenêtre dans le logement du gardien. Sur le parking, de nombreux bateaux sont tombés des bers. Un Challenger Scout est un des rares bateaux a avoir tenu le coup. Je passe sous son vent et j'ai à peine dépassé l'étrave qu'un formidable boucan se produit: le bateau vient de quitter son ber et de s'encastrer sur une grosse bitte en pierre. A quelques secondes près, j'étais dessous. Rétrospectivement, une peur énorme me submerge... Erreur monumentale que de passer sous le vent!
Poursuivant vers la plage, j'arrive sur le front de mer. La nuit est noire mais, à perte de vue la mer est blanche, des vagues énormes prennent la jetée nord en enfilade, apportant leur lot de galets et de branches d'arbres. C'est un spectacle de fin du monde qui s'offre à moi.
De retour vers le bassin, je fais une moisson de pare battages incroyable. J'aligne sur le quai tout ceux qui portent un nom de bateau et je garde les autres : dix-sept! Au petit matin, le vent commence enfin à calmir et vers sept heures, je regagne mon bord où je m'endors enfin après cette nuit de cataclysme.
Ailleurs, à Cherbourg, à Concarneau, les ports sont complètement dévastés. La Bretagne est totalement ruinée et au jour d'aujourd'hui -1992 - nombre d'arbres abattus cette nuit-là sont encore à même le sol.
REMORQUAGE
Au début de ma carrière de plaisancier, jamais je n'avais eu l'occasion de prendre où de passer une remorque quand m'est arrivé l'anecdote que je vais conter maintenant.
Nous avions quitté par un temps superbe, le port de Grandcamp, sous un soleil estival, au moteur puisque Eole se jour-là était resté couché. Peu après le passage de la bouée Empire Broadsword, le moteur rendit l'âme, joint de culasse crevé. La marée nous étant contraire, nous avons vu à nouveau ladite bouée défiler, à reculons. Puis, six heures plus tard, nouveau salut à cette bouée qui commençait à nous sortir par les yeux.
Enfin, vers dix-sept heures, le vent se décide enfin a rentrer et une bonne brise s'établit. Nous faisons route à l'est en direction de Ouistreham à bonne vitesse. Nous apercevons Courseulles quand soudain le vent tombe totalement tandis que la nuit se profile. Tous les voiliers nous précédant filent rapidement vers le port et nous voyons se profiler une nuit en mer.
Déjà, il ne reste que quelques autres plaisanciers sur notre arrière et nous envisageons de nous signaler pour nous faire remorquer.
Peu expérimenté, je décide de consulter la fameuse Bible des Glénans que tout plaisancier sérieux possède à bord tandis que mon beau frère reste à la barre dans un clapot court et désordonné. Ce que j'y lis m'horrifie totalement puisque cet excellent ouvrage déconseille le remorquage tant qu'on a pas à bord des amortisseurs ou un pneu ou que sais-je encore. D'autant qu'il ajoute que lorsque tout ça est paré et que la remorque est passée " alors commence les problèmes ". Je remonte désespéré par ce que je viens de lire et annonce à Yvon qu'il n'est pas raisonnable d'envisager cette manoeuvre.
Mais la nuit qui vient nous angoisse. Déjà, il ne reste plus qu'un bateau en côte, par tribord... Soudain, je prends la décision et me précipitant sur ma corne de brume, j'attire l'attention du voilier qui se déroute immédiatement. Il fait un tour pour voir ce que nous demandons et accepte de nous rentrer. Je passe la remorque et m'installe dans le balcon avant afin de jouer avec bras et jambes le rôle d'amortisseur proposé par le cours des Glénans. Dans ce clapot court, haché, l'aussière se tend et se détend à chaque vague. Mes bras sont de plus en plus tétanisés et quand enfin nous toucherons le port, en lieu et place de la paume de mes mains ne resteront plus que deux steaks bien saignant.
Ajoutons pour tempérer les difficultés du moment que notre remorqueur après nous avoir largué ne voulut pas entendre parler d'une gratification ou d'un pot à bord. Ils étaient simplement heureux d'avoir rendu service dans la plus noble tradition de la plaisance. Chapeau.
LA LOI DE L'EMMERDEMENT MAXIMUM
Cette loi dont je vais faire état maintenant ne figure dans aucun manuel et pourtant, il arrive qu'elle sévice avec force jusqu'à nous écoeurer - momentanément heureusement - de la plaisance.
Donc, un bel été, après une navigation côtière m'ayant amené jusqu'à Cherbourg avec une amie, je décide de lui faire découvrir une île merveilleuse à mes yeux, Aurigny. Par un temps clément, je me dirige donc vers le Blanchard que je tangente sans problème pour me présenter à Port Braye en soirée.
Comme je ne suis pas désireux de payer pour être au coffre, je décide de mouiller devant Old Jetty. Je place le mouillage au fond, étalant ma chaîne mais pour une raison inconnue, il ne croche pas. Pas de lézard, je demande à Marie de prendre la barre, moteur en marche afin de refaire la manoeuvre. L'ancre remontée, le courant m'entraîne vers un grand bateau. Je demande à mon équipière de mettre le moteur en marche arrière. Hélas c'est le contraire qui se produit et nous allons plein pot prendre le bateau par le travers. L'ancre d'une main, je passe une botte par dessus le balcon et réussis à détourner mon étrave pour que le choc soit moins violent. Marie est décomposée devant le balcon tordu.
Qu'importe, je mouille correctement cette fois mais relativement proche d'un pavé. Le vent vient de l'est...pas de problème. Tout au moins pour le moment car dès la nuit tombée, il vire de 180° en forcissant et nous voilà acculés au rocher. Toute la nuit en bottes et ciré, je reste en éveil dans cette position inconfortable.
Au matin, le vent toujours fort tourne à nouveau mais je propose néanmoins une visite de l'île et pour ce faire, je gonfle l'annexe et la mets à l'eau. Dans le clapot, nous tentons de rallier la plage mais Marie n'ayant pas l'habitude de ramer, je m'épuise en vain et nous décidons de regagner le bord que nous sommes à deux doigts de manquer avec le vent qui nous pousse. A peine le pied au-dessus des filières, on voit la pagaie de Marie partir à la dérive.
" Cette île ne me plaît pas, arrachons-nous de là! " dit-elle. Je la rassure : " Mais non, nous allons débarquer avec le taxi de mer. " La visite d'Aurigny ne lui inspire que dégoût, les magasins sales et mal présentés, la côte à gravir. Bref, le départ prévu pour le lendemain est avancé à la soirée.
Nous quittons donc Braye avec un bon six au cul. Pour éviter les problèmes, je décide de tangonner un foc et de mettre en place une retenue de bôme. Nous n'avons pas fait un mile quand la cloche du tangon explose. La voyant pâlir, l'humeur de plus en plus rogue, j'affale le foc et continue sous grand voile seule.
Nos problèmes hélas ne sont pas finis : dans le raz, c'est au tour de la retenue de bôme de lâcher. Le moral de mon équipière baisse à vue d'oeil comme le jour. Je lui sorts donc la radio, toute neuve, la musique étant sensée adoucir les moeurs, et nous entrons dans la rade de Cherbourg. Et c'est là qu'en voulant passer les aussières, pour finir la journée en beauté, Marie posera le pied sur l'antenne du poste neuf, la cassant net et que le shipchandler mettra huit mois à remplacer. Mauvaise journée.
LES SCILLY
Aborder les Scilly, en français, les Sorlingues, c'est assurément mettre le pied dans un véritable petit paradis. Bien entendu, je n'y suis pas allé pendant les tempêtes d'hiver mais l'on sent ici que le climat est relativement clément eu égard à la position géographique, par plus de 50° Nord.
En partant du Havre, la route est un peu longue puisque 250 milles nous en sépare. A noter cette rencontre irréelle du bateau feu Channel, ancré au plein milieu de la Manche. Anecdote marrante, nous avons atteint cette balise à la tombée de la nuit après une route déjà longue au cours de laquelle nous n'avions rencontré personne. Aussi étais-je tout émoustillé par cette rencontre. J'empoignai donc ma VHF pour parlementer avec les occupants du lieu, dans un anglais approximatif. C'est alors qu'à ma grande surprise, le centre de contrôle de Plymouth me demanda ce que je voulais à ce bateau-feu. Je répondis donc que, passant à une demi-encablure, je voulais saluer les preux occupants dudit navire. Et, très sérieusement, mon interlocuteur m'indiqua donc que je ne risquais pas de recevoir une réponse puisque ce phare était entièrement automatisé. Dont acte !
Le lendemain soir, après un mémorable passage du Cap Lizzard, nous atterrissons au bout de la Cornouaille. Atterrir aux Scilly de nuit pour une première ne me tentant pas, nous sommes allés vers le seul port en eaux profondes de ce bout de l'Angleterre, Newlyn. Si ce port avait été choisi en fonction de son entrée 24 heures sur 24, je dois dire que nous n'avons pas regretté l'escale. D'abord pour l'accueil puisque prenant pied sur le môle central à deux heures du matin, nous sommes tombé sur un gardien charmant qui, avant même de nous demander ce que nous voulions, nous tendit les clés des douches. Quand on saura que nous étions seuls plaisanciers au milieu d'une centaine de chalutiers, voilà bien une réception sympathique. Au matin, nous avons découvert un charmant village étagé sur une colline, avec beaucoup de maisons anciennes. Dans la matinée, nous avons eu la visite du maître de port, charmant, qui nous a proposé eau douce et fuel et nous a réclamé des frais de port dérisoires. Escale à retenir.
Le lendemain, nous avons mis le cap sur les Scilly, passant Land's end. Au sud, nous avons pu admirer Wolf Rock, un phare isolé en pleine mer sur un rocher unique, avec des fonds de 60 mètres tout autour. Curieux. Petit à petit, sous un ciel immensément bleu, nous avons vu se profiler les îles, cherchant avec attention le phare de Peninnis qui marque l'entrée du chenal Saint-Mary's sound, le plus facile d'accès à toute heure de marée. Bien balisé, il permet un atterrissage sans problème sur le mouillage principal devant Hugh Town. Ce mouillage n'est malheureusement pas très protégé des vents d'ouest dominants. Les quais sont réservés au ferry et aux vedettes. La ville est magnifique avec ses vieilles maisons en grès et des jardins merveilleux. A noter le passage obligé par le Mermaid, le pub le plus célèbre des îles, entièrement décoré de vestiges récupérés sur les épaves nombreuses dans ces parages.
Le soir venu, le vent de nord ouest étant soutenu, nous sommes allés prendre un mouillage au sud de St Mary's, à Porth Cressa. Ce mouillage est merveilleusement enserré entre deux collines, barré au sud par un banc de roches partiellement submergées à marée haute, avec un fond de sable de bonne tenue. C'est un endroit où poser l'ancre à recommander particulièrement car il semble que seul un vent fort de sud est, peu fréquent dans ces parages, pourrait poser quelques problèmes.
Le lendemain, le temps nous étant compté, nous sommes allés à la découverte de Tresco. Nous avons emprunté la passe de Tresco Flats utilisable sans problème à marée haute. A noter que les deux balises à arrondir pour prendre le chenal sont relativement confidentielles et qu'il faut réellement approcher pour les reconnaître. Nous avons trouvé un très bon mouillage entre Tresco et Bryher, dans un sound pittoresque à un endroit au nom prédestiné puisque nommé Frenchman's Point au sud est de Cromwells Castel, dans les parages de la roche Hangman, véritable piton émergeant au sud du sound. Fond encore une fois de sable, dans une eau limpide, avec en prime la visite d'un vieux phoque gris solitaire.
L'île de Tresco est particulièrement belle. Le tour de l'île prend environ deux heures. Après la visite de New Grimsby, le minuscule port asséchant, on franchit le sommet pour trouver la petite chapelle nichée dans la verdure. Une route minuscule descend vers le nord jusqu'à la cale d'Old Grimsby. Ce mouillage du nord de l'île paraît sympathique mais nous avons assisté là au violent talonnage d'un voilier qui rentrait par l'ouest qui donne à penser que l'on doit se méfier de roches affleurantes, ce que la carte a bien entendu confirmé.
Outre la beauté naturelle de cette île, se trouve sur Tresco un véritable joyau, les jardins de l'Abbaye. Dans ce parc gigantesque, se trouve une flore tropicale complètement ahurissante pour une terre située par 50° nord : cactées, palmiers, bougainvillées, le tout magnifiquement agencé et étagé sur la colline. Au pied de ce jardin, le long du lac Great Pool, ne manquez pas de visiter le Valhalla, musée des figures de proues des navires échoués au Scilly.
PLYMOUTH
Pour tous les amoureux des transats, Plymouth est, depuis la création de la célèbre Ostar par Blondie Hasler, un lieu mythique hanté par l'esprit de tous les grands de la voile et surtout, pour nous autres français, par le souvenir de Tabarly, Colas, Poupon et les autres... Aussi, bien que sachant que Milbay Dock a une sérieuse réputation de quai sinistre, j'ai proposé à mes coéquipiers d'aller nous apponter à Milbay Dock Marina, port privé mais dont les instructions nautiques signalent qu'elle accepte les yachts de passage. Le préposé nous a accueilli assez fraîchement mais a néanmoins accepté que nous restions là pour la nuit. N'ayant pas d'argent liquide, nous sommes donc allés dans le centre ville chercher un distributeur. Hélas, à notre retour, plus de gardien et un port fermé avec notre canot dedans et nous dehors. Nous avons donc dû faire le mur pour récupérer le bateau et fuir cet endroit sinistre que nous ne vous recommandons pas.
Nous sommes donc allés un peu plus à l'est à Queen's Anne Battery Marina. Là, accueil souriant et sympathique, équipements propres et nets. La marina était un peu encombrée par le départ imminent de la Round Britain Race mais le maître de port nous a tout de suite offert la place d'un plaisancier anglais parti en croisière. Si vous visitez un jour cette marina, vous découvrirez le passeur jovial et son esquif particulier, tout en acajou magnifiquement entretenu, avec au centre, une cheminée en cuivre brillant comme un sou neuf. Il vous emmènera sur l'autre rive visiter le pittoresque quartier de Barbican, à ne pas manquer. Les pubs, boîtes de nuit, magasins de matériel de marine et de brocante se succèdent dans ces petites rues anciennes. A noter sous une vieille halle, un marché aux puces intéressant.
Et puis, quittant Plymouth par l'est, ne manquez pas non plus de traîner une ligne équipée d'un rapalla, en longeant la côte. Dans les parages de Great Mew Stone, nous avons réussi en trois minutes une pêche miraculeuse : deux bars de 65 et 60 centimètres.
PORTLAND BILL & WEYMOUTH
Venant de l'ouest, la baie de Portland présente l'intérêt particulier d'être très bien abritée avec, au fond, le charmant port de Weymouth, accessible à toute heure de marée. Mais, ne jamais oublier que pour arriver jusque là, il faut en payer le prix par le passage de Portland Bill, cette presqu'île avançant vers le sud qui génère des courants très violents qui nous ont surpris, bien que nous en ayons été informés et que nous nous les soyons octroyés pour passer la pointe... ce qui fut difficile.
Passé ce pensum, vous entrez dans cette immense baie de Portland, avec son port militaire entouré de digues, qui comprend une marina où le plaisancier lambda est autorisé à séjourner. A noter que ce qui semble la première entrée sur votre route est en réalité un piège puisque la brèche dans la digue est coupée par un mur submersible. Si d'ailleurs votre intention est d'entrer à Portland, mieux vaut y pénétrer par l'entrée Nord, moins utilisée par les navires de guerre et très proche du port de plaisance.
Mais, de grâce, quand vous serez là, quelques encablures vous séparent du port si mignon de Weymouth et il m'apparaît qu'il n'y a pas lieu de sen priver. Et cela pour plusieurs bonnes raisons. La première est peut-être le sourire de cette femme gaie qui vous accueillera aux douches, sur le quai nord. Des gens comme elle m'ont réconcilié avec les anglais. Ensuite parce que vous aurez peut-être l'occasion de rencontrer une très jolie goélette, l'Astrid dont Weymouth est le port d'attache.
Mais surtout, le charme de la ville elle-même suffit a en faire un lieu d'escale évident. Me promenant dans la vieille ville, j'ai vu venir à moi un vieil anglais en costume et noeud papillon. Après s'être enquis de ma nationalité, il m'a raconté, dans un français hésitant et très drôle, l'histoire de ces deux cités qui, sur les rives de la Wey se sont opposées pendant des siècles pour, une fois la paix revenue, décider de ne plus former qu'une ville, Weymouth.
De la vieille ville, ne manquez pas d'emprunter la barque du passeur qui, tirant sur ses rames vous permettra de rejoindre la gare maritime et d'aller flâner sur l'immense plage de sable où les Anglais sont nombreux les fins de semaine.
SAINT ALBAN S'LEDGE.
Assis dans le cockpit, au soleil, dans le port de Weymouth, nous étions penchés sur la carte pour continuer notre croisière vers l'ouest quand, désirant serrer la côte pour rejoindre l'île de Wight, je me suis rendu compte que, devant le cap Saint Alban, de forts remous étaient indiqués. Devisant sur le sujet avec le plaisancier britannique, à-couple de nous, ce dernier m'annonça dans un français savoureux : " Si vous ne passe pas là aujourd'hui, vous ne passe jamais ". Bien sûr, nous fûmes intrigués par ce propos et il nous fournit quelques indications desquelles il ressortait que l'on ne pouvait espérer passer là qu'avec le courant et les jours de pétole, ce qui semblait le cas.
Nous sommes donc partis pour traverser Saint Alban's Ledge avec une légère appréhension. Quelques voiliers nous précédant nous rassuraient néanmoins. Le vent étant de face et très faible, nous routions au moteur, avec le courant pour nous.
En nous rapprochant du cap, il fut de plus en plus évident que l'eau s'agitait un peu, mais rien de très alarmant. Puis au droit de la pointe, passant sur le banc, la mer fut soudain plate... Mais au delà de ce passage, on commençait à distinguer à l'oeil nu de magnifiques déferlantes, d'immenses crêtes blanches sur une mer bleu azur. Et soudain, nous sommes entrés dans une zone infernale et chaotique. Les creux pouvaient atteindre 2 à 3 mètres de hauteur, nous faisant face, mais surtout ce qui était impressionnant, c'est qu'elles se suivaient sans interruption, seulement séparées d'une dizaine de mètres.
Aussi, à peine retombions-nous dans le creux d'un rouleau que le suivant venait couvrir le pont jusque dans le cockpit. Et, pour couronner le tout, de temps en temps, une lame anarchique venait tantôt du large, tantôt de la terre, provoquant une sorte de pyramide liquide où nous étions ballottés en tout sens. Ce passage qui ne doit pas faire beaucoup plus d'un demi mille nous a laissé gravé dans la mémoire un souvenir indélébile. A pratiquer avec modération et les jours de pétole!
LES GLENANS
Dire combien je fus amoureusement impressionné par ces îles merveilleuses n'est rien puisque ma vie en a été profondément modifiée. Le premier jour, je compris que la politique des Glénans était de responsabiliser rapidement les stagiaires et que l'optique des responsables était de mettre les stagiaires en position de chef de bord au plus tôt. Moi qui avait déjà une modeste expérience, me retrouvai vite invité à prendre des responsabilités sur un bord.
A cette époque, les Glénans possédaient encore des bateaux en bois anciens, assez lourds, sans winchs, et c'est ainsi que je me retrouvai à la tête d'un équipage de stagiaires dont j'étais, sur un dogre des Glénans. Le chef de centre, c'est-à-dire le responsable du stage, était un jeune parisien d'origine bretonne, avec la tête plus grosse que le plus grand bonnet de marin qui puisse se trouver chez les ships accompagné d'un vieux briscard de la mer qui s'appelait Albert.
La règle du jeu de l'époque, qui s'est un peu affinée depuis, était que l'on devait impérativement suivre, en navigation, une ligne de file appelée escadre, ce qui signifie pour les profanes quun bateau ne devait jamais dépasser le bateau vous précédant et ne pas traîner pour que le bateau suivant n'ai pas trop de problèmes pour ne pas vous rattraper... Mais, je voulais briller et rapidement je fis en sorte de dépasser Albert qui me précédait sur un autre dogre... Le soir, le chef de base qui s'appelait Serge m'appela afin de me demander d'expliquer pourquoi je semblais si à l'aise sur l'eau. Je lui racontai bien entendu ce que je viens de vous narrer et il eut l'à-propos de me dire que, compte tenu de mon expérience et des milles que j'avais accumulés, il serait de bon ton que je reste la semaine suivante pour donner un coup de main, un moniteur ayant fait faux bon.
La semaine suivante, j'étais moniteur des Glénans et je venais de mettre la main dans un engrenage infernal mais passionnant dont je ne suis plus jamais sorti jusqu'à présent. J'attaquai donc l'enseignement de la voile, un peu inquiet de mon inexpérience théorique où, du moins d'un manque de pédagogie évident. Mais j'avais eu la chance la semaine précédente d'avoir eu, en la personne d'Albert, un merveilleux initiateur, ayant un profil voilistique voisin du mien, c'est-à-dire une approche autodidactique de la mer. Je l'avais observé, ignorant que je devrais, dès la semaine suivante tenter de l'imiter, mais espérant utiliser ses connaissances avec tous les amis que j'embarquai à mon bord... Aussi cette semaine initiatique me donna-t-elle le goût de l'enseignement de la voile.
J'embarquai donc l'année suivante pour un nouveau cycle mais, cette fois, Cathy, remarquable responsable de la base de Concarneau me confia le rôle de Chef de centre, c'est-à-dire la responsabilité d'un stage et l'animation du groupe des moniteurs y oeuvrant. Expérience remarquable qui incita à recommencer l'année d'après. Mais, une nouvelle marche m'attendait. J'avais tâté pendant quelques jours du rôle de chef d'île, c'est-à-dire d'avoir la responsabilité de la base dans tous ses aspects : nautique, intendance, relations sociales, organisation, suivi de la flotte.
Aussi la proposition de Cathy fut de prendre en charge l'île comme chef de base. Séduit par le challenge, je décidai donc de passer cinq semaines sur l'île. Quel panard ! Ce travail intense où je me trouvais sur le pont 24 heures sur 24 me permit véritablement de m'éclater et surtout de rencontrer stagiaires et moniteurs de toutes origines dont certains sont devenus des amis et avec lesquels j'ai encore aujourd'hui des relations épistolaires ou des croisières merveilleuses. Depuis, j'ai continué, d'année en année à oeuvrer au sein des Glénans avec le même enthousiasme. Etant apprécié pour ma longue pratique de la mer, je sentais néanmoins un manque certain en pédagogie ce qui m'amena à participer, un mois d'avril particulièrement froid puisqu'il gelait, à un stage de la FFV afin d'obtenir mon diplôme de moniteur, ce qui fut une relative formalité.
Mais ce stage de douze jours mérite, à plus d'un titre qu'on s'y arrête un moment. D'abord parce que les conditions que nous y avons rencontrées furent déplorables. Dès le premier jour, nous avions un 6 bien établi ce qui, à l'archipel, ne présente pas de problème de vagues dans la mesure où le cercle des îles étale la mer mais qui néanmoins fit que, dès le midi, nous étions trempés comme des soupes, ce qui devait durer jusqu'à la fin du stage. Mais me direz-vous, on peut sécher ses affaires quand on est à terre ! Hélas non ! car nous étions logés dans le fort Cigogne sous les voûtes suintantes d'humidité qui firent que, associées au froid intense qui régnait, nous dormîmes tout habillé pendant tout notre séjour. Les conditions ne firent qu'empirer et la veille de la fin de stage, nous fîmes des exercices de prise de ponton sur des Dogres bien entendu sans winchs ni moteur, par force 8, ce qui fut sacrement folklorique.
Quelques-uns de ceux qui s'essayaient à réussir l'examen étaient particulièrement remarquables. Un Lyonnais qui fut recalé ne savait pas donner des ordres clairs ce qui donnait des phrases incongrues sur un canot du style : " Quelqu'un aurait-il l'extrême obligeance de bien vouloir choquer légèrement l'écoute de grand-voile " ou " Quel charmant jeune homme pourrait remplacer le barreur ? ". Il était celui qui déclara le dernier jour " Pourquoi m'intéresserais-je à la météo puisque j'habite Lyon et qu'à Lyon, il n'y a pas la mer? ". Ce type était totalement désopilant et nous aurions été interloqués qu'il soit reçu.
Une race assez courante dans ceux qui briguent le diplôme sont des jeunes, très jeunes puisque à partir de 18 ans, on peut espérer devenir moniteur de voile. Ceux-là sont redoutables dans la mesure où ils pensent tout connaître, tout savoir et avoir tout vu. Ce qui m'amena un jour à dire à l'un d'eux qu'il était inutile qu'il aille chez Le Rose à Concarneau pour acheter un bonnet de marin à sa taille car, compte tenu de la grosseur de sa tête, ils n'en avaient pas !
Pendant ce stage, nous travaillions très dur : le matin 9 heures, topo en salle puis mise en place sur l'eau de l'exercice vu au tableau. Après le repas, rebelotte, tableau noir puis plan d'eau et critique de nav avant le dîner. Ouf, on va souffler après la bouffe. Pas du tout : après le repas du soir, en salle de topo et on fait de la péda (pédagogie pour les non-initiés) jusqu'à 23 ou 24 heures. Pour information, ma guitare n'est sortie qu'un soir de son étui et encore parce qu'on m'avait envoyé en émissaire pour demander une soirée de libre devant le ras-le-bol général. Le lit était le bienvenu, on s'y abattait comme des mouches asphyxiées au Fly-tox. Hélas, cent fois hélas, nous avions dans la chambrée un ex-champion du monde de ronflette ! Ce type avait un registre étendu allant du chalutier en pèche au vol de Concorde en rase motte en passant par une attaque de mouches tsé tsé et un marteau piqueur ravageur. Une infamie !
Néanmoins, avec mon vieil ami Pierrot le Fou, dont vous avez déjà fait la connaissance, nous réussîmes brillamment notre examen et fûmes désormais et pour l'éternité, moniteurs de voile. Inch Allah !
SOURIRES AUX GLENANS
Mes différents séjours aux Glénans m'ont donné l'occasion de rencontrer des personnages hors du commun et je vais dresser pour vous le portrait de quelques-uns d'entre-eux.
L'île de Bananec où j'officie est reliée à l'île principale de Saint Nicolas par ce que les scientifiques appellent un tombolo, c'est-à-dire un cordon dunaire alternativement couvert et découvert par la marée qui permet donc, aux basses eaux de passer à pied. Aussi, ma surprise fut grande un jour où j'accueillait des stagiaires sur le quai de Saint Nic comme on dit ici, de voir débarquer de la vedette un géant barbu, porteur de deux immenses Delsey manifestement peu adaptées à la circonstance. Mais, le plus curieux, c'était les chaussures en croco qu'il portait. Lui ayant expliqué qu'il risquait d'abîmer ses chaussures de ville, je m'entendis répondre " mais les crocodiles aiment bien l'eau ! ". Ce qui ne manqua pas de m'étonner, ce fut que, durant tout son séjour, il n'ouvrit jamais une de ses deux valises... A la fin du séjour, le raccompagnant jusqu'à l'Atlante, je me décidai enfin à lui demander ce que pouvait bien contenir cette valise dont il n'avait pas eu l'usage. " C'est très simple " me dit-il, " j'avais entendu dire que nous serions isolés et, étant chirurgien, j'ai dans cette valise tout le nécessaire pour réaliser une opération de l'appendicite sur une table de cuisine. " Etonnant, non ?
Mais l'occasion m'a été donnée de voir des individus moins soucieux du bien commun. L'un d'eux, propre sur lui et bien mis puisqu'arrivé en costume-cravatte se révéla un photographe émérite comme vous allez en juger. Les chambrées sont mixte et il se trouve en général dix ou douze garçons et filles à partager les lits clos. Cet amoureux de la nature avait rapidement trouvé une occupation intéressante. Dès que quelques nanas entraient dans la piaule dans la journée pour se changer, il fonçait dans la chambre et mitraillait les jolies filles sous toutes les coutures. Après quelques plaintes, il me fallut donc le convaincre que les paysages des îles étaient préférables aux photos Glamour qui avaient sa préférence.
Un autre jour, j'eus la visite dans mon bureau de quelques filles venant se plaindre d'un individu qui partageait leur chambre et qui pratiquait nuitamment la masturbation furieuse empêchant les autres de dormir. Comment dire à ce grand gaillard un peu mou qu'il fallait que cesse cette pratique bruyante et gênante. Retour de mer, je le priai donc de venir me voir dans mon antre. Je l'attaquai bille en tête ce qui donna le dialogue suivant :
- Dis donc, tu te branles ?
Le type me regardait ahuri. Je répétai donc la question avec insistance.
- On est entre nous, tu te branles...
Le mec bredouilla un "oui" à peine perceptible.
- Et bruyamment ?... Oui, dit-il
- Et tous les jours ? ... Ou..oui !
- Alors à partir de ce soir, tu te branleras sur la plage ce qui fera des vacances à ceux qui tentent de dormir dans ta chambrée. Il partit tout penaud et les nuits furent désormais tranquilles dans cette chambre.
Mais les hommes ne sont pas les seuls a avoir occasionné des situations croustillantes. Un après-midi d'avril très frais, j'allai chercher un nouveau contingent de stagiaires à Saint Nic. Soudain, débarque une fille très belle en minijupe, bas résille et talons hauts, tout maquillage dehors. Je vois immédiatement l'oeil des moniteurs s'allumer tel le loup de Tex Avery. Je me dirige donc vers la nana et lui demande si elle ne pourrait pas se changer pour aller marcher dans le sable humide pour rejoindre la base. " Ah, oui, pas de problème. " Je me dirige donc vers le café Castric pour lui permettre de se changer à l'abri des regards mais, me retournant, je constate qu'elle a déjà tombé la mini et qu'elle apparaît en porte jarretelle avant de tranquillement ouvrir son sac et sortir des habits plus adaptés au lieu. Je crains l'émeute et sens que l'on se prépare à un stage difficile. Ce qui ne manquera pas d'être puisqu'à la fin du stage, un moniteur sous contrat laissera femme, enfants et travail pour s'enfuir avec elle jusqu'à la capitale... avant de rentrer penaud quelques jours plus tard.
Les âges des stagiaires sont très divers et, une fois, je vis arriver sur l'île un couple formidable : elle avait 64 ans et lui 65. Ils avaient navigués autrefois et, la retraite venue, lui s'était mis en tête de construire son bateau, en bois. Il avait donc terminé cette entreprise et, comme ils étaient maintenant prêts pour le grand départ, ils avaient décidé de se remettre en tête les manoeuvres de base. Quel étonnement pour beaucoup des jeunes qui étaient là de voir avec quel dynamisme ils vivaient ce stage. Ils étaient toujours les premiers sur la plage pour embarquer, toujours prêts à toutes les manoeuvres et ils donnèrent vraiment toute la mesure de leur passion le dernier jour, pendant la régate de clôture. Ils m'invitèrent au baptême de leur canot et je les crois heureux aujourd'hui de naviguer en cabotant de port en port. S'ils ont suivi leurs plans, ils doivent se trouver maintenant quelque part en Méditerranée.
Un jeu abondamment pratiqué sur la base est de faire des blagues aux nouveaux arrivés. La plupart du temps la farce est rapidement éventée mais, parfois, il suffit d'un naïf pour faire rigoler l'ensemble du stage durant la semaine. Ce fut le cas d'un lyonnais, au demeurant ingénieur en informatique dans le "civil". Pendant le topo d'accueil, j'avais informé les nouveaux arrivants que les goélands étaient, à cette saison, particulièrement chapardeurs et qu'il fallait donc se méfier de bien attacher serviettes et gants de toilette sur le fil à linge si on souhaitait les retrouver. La plupart des stagiaires avaient éclaté de rire devant cette joyeuse plaisanterie mais, à l'issue de ce topo, un garçon était venu me trouver, désireux d'en savoir plus. Voyant que la facétie était prise au sérieux, je lui expliquai donc la chose, ajoutant que les oiseaux se servaient des effets volés pour garnir leurs nids. Quelques autres plaisantins s'étaient déjà joint à moi dans cette blague et nous en reparlâmes donc régulièrement. Au fil de la semaine, les mouettes se mettaient à deux pour voler une botte, puis on apprit qu'on avait même vu, un jour, plus de quinze goélands enlever un canot pneumatique mais, bien entendu, sans moteur (tout de même !). Nous avions cette semaine là, perdu un mouillage complet, ancre et chaîne. J'indiquai donc qu'à la fin de la semaine, grâce aux grands coefficients de marée, nous pourrions récupérer notre mouillage en plongée. " Mais comment allez-vous le retrouver ? " demanda-t-il. Une nouvelle idée venait de germer : " Pas de problème, nous avons des bars apprivoisés au bout de l'île et c'est eux qui retrouverons la chaîne " lui répondis-je. Il me fallu donc expliquer comment on dressait des poissons à aller chercher quelque chose au fond de la mer. On pêchait donc des bars que l'on plaçait dans un bassin au fond duquel se trouvaient des morceaux de chaîne, des ancres, des manivelles de winch et divers autres objets de la vie courante. Lorsque le bar allait vers un objet qu'il nous intéressait de retrouver, nous lui donnions en récompense un morceau de pain. Si, au contraire, il se dirigeait vers un objet sans intérêt, nous envoyions dans l'eau un courant électrique à l'aide d'une pile de lampe de poche. Ce garçon restait ébahi de notre ingéniosité et, la semaine suivante, il suivait un stage sur une autre île. C'est ainsi qu'il a rapidement propagé la légende des goélands voleurs et des bars chercheurs au plus grand plaisir de tous.
Une autre fois, un moniteur, très beau garçon, proposa la farce suivante. Je devais, lors de l'arrivée des stagiaires, le présenter comme étant l'abbé Tanguy, curé de Saint Ennegat. Ce que je fis. Si une bonne moitié de l'assistance sourit, le reste goba l'affaire. Des questions et des interrogations ne manquèrent pas de venir : comment un prêtre pouvait-il faire de la voile, quel dommage disaient quelques filles qu'un aussi beau mec soit curé, aurait-on une messe le dimanche ? Les réponses étaient simples : le Père Jaouen naviguait bien, pourquoi pas l'abbé Tanguy, rien n'interdit à un prêtre de naviguer surtout s'il est breton... Pour la messe du dimanche, j'avoue que nous n'y avions pas pensé mais, immédiatement, nous avons bondi dans la faille et annoncé messe basse pour le dimanche matin, dans le foyer de la base. Nous sommes donc mis le samedi soir à ériger un autel de fortune ce qui eut pour effet de semer le doute dans l'esprit de ceux qui avait d'abord souri les premiers temps... jusqu'au moment où, le dimanche matin, nous avons révélé la supercherie, au grand soulagement de certaines demoiselles qui purent enfin voir l'avenir sous un jour un peu plus rose...
HISTOIRES BELGES
Je commencerai par une mystification que nous réalisâmes en Baie de Seine par un beau jour de printemps. Partis de conserve avec un ami, nous routions en direction de Saint Vaast par un temps de demoiselle, entendant depuis quelques heures déjà à la VHF, deux voiliers de location se rendant au même port que nous disserter sur le vent, létat de la mer, les fonds rencontrés, les heures douverture du port, la possibilité darriver avant la nuit... Tout ce charabia indiquait clairement quils ne savaient, ni lun, ni lautre, rien de la navigation dans la Baie de Seine. Ils avaient des réparties particulièrement gratinées du style : " Nous avons mis le moteur, demande à ton skipper à quel rythme tourne son moteur ? "... " Pierre dit que nous tournons à 1812 tours ! ". Bref, on sentait aux questions - réponses que leur expérience de la mer nallait pas à une portée de canon.
Le temps étant plus que clément et étant, pour ma part en remorque de mon ami, je décidai de lancer le bouchon un peu loin ! Prenant la pédale de la VHF, je mannonçai comme un voilier belge, le " Schnobelitz ", en route pour Saint Vaast et désirant avoir des informations sur lapproche de ce port, je demandai aux voiliers sur zone de minformer. Aussitôt, ces deux bateaux, " Aphrodite " et "Cécilia " me renseignaient avec une gentillesse extraordinaire sur ce quils ne connaissaient évidemment pas dans les minutes précédentes. Sensuivit un dialogue extraordinaire où jallais jusquà demander si je pouvais passer sur des zones indiquant des explosifs immergés. " Un instant, je vais demander à mon skipper "... " Oui, il dit quil ny a pas de problème! ". Bref, en résumé, ils répondirent à toutes mes questions alors même quils bafouillaient les réponses dans les instants qui précédaient.
Cette plaisanterie dura pendant plus dune heure. Mes équipiers étouffaient leurs rires alors que ceux du bateaux remorqueur riaient à gorge déployée. Quand les deux canots de locations entrèrent dans Saint Vaast, nous voyant, ils réalisèrent enfin quils avaient été victime de plaisanciers plaisantins.
Un jour, jétais sur le ponton dattente à Ouistreham avec dautres bateaux familiers de la Baie de Seine quand un plaisancier belge nous aborde pour nous demander ce que nous pensons de latterrissage de Saint Vaast. Nous lui expliquons donc que cette entrée est claire, même de nuit et que, de toute façon cest une baie où il est si facile de mouiller que les anciens lavaient appelée " la baie du Bon Dieu ". Notre belge semblant convaincu, largue les amarres en début daprès-midi et chacun dentre-nous retourne à ses occupations.
Le lendemain, vers la mi-journée, quelquun sécrit " Eh, les gars, voilà notre belge dhier ". Effectivement, nous prenons bientôt les amarres de notre homme qui sexclame avec un savoureux accent que ne saurait rendre lécrit " Quand je suis arrivé là, jai vu des feux partout, jai dit à ma femme, je nsaurai rentrer là, nous allons retourner au port que nous connaissons, Ouistreham ". 24 heures de navigation pour un retour au point de départ.
Une autre fois, nous étions au milieu de la Baie de Seine avec mon fils quand nous entendons à la VHF deux voiliers belges manifestement quelque peu perdus et cherchant les balises du Parfond. Le Parfond est une fosse où, il y a quelques années, on a fait des recherches de pétrole et où une plate-forme était balisée par trois bouées. Mais le jour où nous entendions ces belges chercher les bouées, ces dernières avaient été ôtées depuis pratiquement un an. Aussi pour ne pas laisser ces plaisanciers chercher avec une carte que je supposais ancienne je me décidai à intervenir et les informer des modifications. Quelle ne fut pas ma surprise de mentendre répondre quen descendant au début du mois en cours, ils avaient trouvé ces bouées. Comprenne qui pourra !
A ECLUSER
Passer une écluse nest jamais un sinécure, tout ceux qui naviguent souvent le savent bien. Même les plus chevronnés dentre-nous sont toujours aux aguets dès quil sagit de sasser. Na-t-on pas rencontré, à diverses reprises des néophytes, le bateau suspendu à des amarres tendues à mort par la descente des eaux et qui navaient pas prévu le nécessaire réglage des aussières...
Et aussi, il survient assez fréquemment dans les sas que le débutant ne tienne pas compte de la direction et de la force du vent, choisisse le bajoyer doù souffle la brise et amplifie ainsi la difficulté de prendre les bollards. Presque immanquablement, il cherche à passer en premier lamarre qui nétait surtout pas à privilégier et là, catastrophe, le bateau se met en travers et cest la chienlit dans lécluse, ça crie, ça tempête, ça court dans tout les sens pour parer, passer des bouts, bref, en un mot, cest la merde !
Une fois que je passais lécluse de Ouistreham, tranquillement par temps maniable, mais néanmoins avec un peu de vent de SW, un malheureux débutant manqua irrémédiablement sa manoeuvre. Aussitôt, un acariâtre plaisancier à moteur - je ne les apprécie guère, en général - se manifeste avec force voix : " Quand on ne sait pas naviguer, on reste au port, on joue aux dominos " et jen passe et des meilleures car le langage de ce personnage, au demeurant bien installé dans la vie et ayant pignon sur rue aurait vraisemblablement surpris ses interlocuteurs habituels. Le malheureux plaisancier, pensant sans doute déjà à revendre son esquif, se débat avec ce problème. Je lance une amarre et dirige la manoeuvre de " sauvetage ". Tout rentre enfin dans lordre et les esprits se calment.
Cette péripétie pourrait paraître anodine si, quelques semaines plus tard, je ne me retrouvais dans lécluse avec le même capitaine au court cours sur son fer à repasser qui manque totalement sa manoeuvre et se retrouve dans la situation quil vilipendait quelques temps auparavant. Je ne manquai pas de lui rappeler, à cette occasion, sa conduite passée et lui fit part de mon profond mépris pour les gens de son espèce. En fait, jai tant eu léventualité de constater que la modestie du marin est souvent proportionnelle à sa capacité que je ne pouvais laisser passer le temps dune petite leçon dhumilité pour cet amiral de catway !
Mais hélas, ce piteux marin est loin dêtre le seul de son espèce. Je men rendis compte une autre fois dans la même écluse. Venant du Havre avec un vent soutenu de nord, je rentrais tranquillement dans le sas. Nous étions déjà tranquilles et amarrés quand arrive à fond, nayant pas tenu compte du vent poussant un plaisancier récent sur son flirt qui mescalade la poupe. Ca vocifère dans tous les coins et, alors que je ne crie pas avec les loups, un voileux à couple de mon bateau apostrophe le pauvre débutant, le traitant de noms doiseaux. Je calme le personnage, lui rappelle ses débuts et lui dit que cest à moi de voir ce quil y a lieu de faire.
Bon, certes, javais une belle patate dans le tableau arrière mais il ne servait à rien de salarmer. Cétait la désolation sur le canot abordeur, le capitaine était blême, sa femme prostrée et les enfants pleuraient. Il mexplique que cétait sa première sortie, quil venait dacheter ce bateau pour les vacances à venir et quil ne savait plus sil allait encore naviguer. Il me dit alors quil est assuré et demande sil peut faire quelque chose. " Savez vous faire de la résine " lui dis-je. Il me regarde hébété en bredouillant " non ". " Alors " lui dis-je " ne faites rien, je moccupe de tout! " Je le rassurai, lui expliquant que lorsque le vent souffle dans le sens de lécluse, il y a lieu de mettre le moteur au point mort très tôt et même dutiliser la marche arrière.
Arrivés à lappontement, nous avons sorti la résine, la choucroute et du tissu de verre à lheure de lapéritif. Le lendemain matin, avant le départ assez tardif, nous avons poncé puis sorti la peinture et, lorsque nous avons passé lécluse, nul naurait pu dire que nous avions subi la veille au soir un abordage.
Et pour terminer ce chapitre sur les passages décluse, je ne peux passer sous silence cette peu glorieuse équipée qui mest arrivée au début de ma carrière de plaisancier. Je venais dacquérir mon premier bateau et, métant saigné aux quatre veines, je navais pas hésité à garnir mon bord en guise daussières de tous les bouts que javais pu récupérer à droite, à gauche et surtout des longes à vaches trouvées à la campagne chez ma belle mère. Et par un magnifique lundi de Pâques, je me dirigeais rapidement vers lécluse de Ouistreham, sans vent, en poussant au maximum le moteur. Soudain, à une centaine de mètres de lécluse quon avait rouverte en me voyant arriver tardivement, le moteur commence à ratatouiller : la panne sèche sannonçait. Laissant mon beau frère à la barre, je me précipite et grée des amarres que je mapprête à lancer au premier venu.
Le temps étant merveilleux, cest plusieurs centaines de badauds qui se pressent pour voir rentrer les voiliers. Mais, voyant mon amarre arriver, tout le monde sécarte et laussière tombe à leau. A ce moment, le capitaine engallonné comme un général dempire sapproche pour attraper ma ligne et sécrit " Oh bah, on aura tout vu, vla qui zont des bouts à vaque, maintnan! " Inutile de dire que ce fut une franche rigolade sur les pontons et que si javais pu me fourrer dans un dalot, je laurais fait !
EN AVANT LA MUSIQUE
Depuis que je navigue, je nai jamais envisagé cette activité autrement que dans le cadre de la plaisance. Pas de régate pour moi, je ny trouve aucun intérêt. Par contre, tous les aspects de la plaisance mintéressent, la navigation, la découverte de ports et de côtes inconnus, la rencontre des autres plaisanciers au fil des escales. Jai donc tout naturellement intégré ma guitare au matériel indispensable à bord.
Cela nous valut bien des soirées agréables dans nombre de ports et je voudrai narrer ici deux anecdotes savoureuses quand à lutilisation de mon instrument.
Un jour, nous atterrissons à Saint Vaast la Hougue en fin daprès midi, heureux dêtre arrivés après une nuit en mer. Le temps étant magnifique, nous avons décidé dun apéritif réconfortant dans le cockpit. Nos voisins à bâbord et à tribord étaient anglais. Et commence un concert improvisé, nous chantons quelques chansons de mer pour le plus grand plaisir de nos voisins qui applaudissent à chaque chanson. En fin de prestation, nos nouveaux amis tiennent absolument à nous remercier et nous offrent donc une bouteille de Muscadet. Le lendemain, nous quittons le port, destination Aurigny.
A peine avions-nous jeté lancre quune barque nous aborde. Le pécheur dAurigny qui loccupe nous propose deux seaux daraignées de mer, expliquant quil aime beaucoup la France et les français, quil a vécu quelques temps à Honfleur et quil ne manque jamais doffrir ses fruits de mer aux plaisanciers de passage. Nous sommes très heureux de son présent et pensons immédiatement à lui offrir une bouteille. Malheureusement, nous navons que des Cubitainers à bord et pas de bouteille... Et soudain quelquun dit " Mais oui, nous avons le muscadet " et nous lui offrons. Et cest ainsi que la bouteille offerte par les marins de Sa Très Gracieuse Majesté fut finalement consommée par un dentre-deux. A moins quelle nai été encore une fois offerte....
Lautre anecdote se passe par un très beau soir de juillet dans le port de Honfleur. Qui connaît lactivité plaisancière dans cette perle de la côte normande en été imagine aisément la difficulté de trouver une place dans le Vieux Bassin en cette saison. Nous avisons donc un voilier allemand de bonne taille, flambant neuf afin de nous y mettre à couple. Le propriétaire, colérique et vindicatif, nous indique dans une langue gutturale et forte quil ne veut pas de voilier contre lui. Nous sommes marris de lattitude de ce teuton mal léché et trouvons refuge dans la rangée dà côté, relativement remontés contre ce " boche qui croit sans doute que loccupation dure toujours ". Bref, à bord, fusent des propos peu amènes à lencontre de ce triste sire. Relativement dépités, nous décidons dun apéritif musical dans la tiédeur du soir. Je sors la guitare et nous commençons donc à chanter.
Soudain, un jeune homme dégingandé, parlant français avec un fort accent germanique, demande la permission de monter à bord. Nous laccueillons et il nous déclare " Mon Bère demante à fous si fous fenir abrès lé rebas poire une pière à nodre bord afec fotre guitare ? " Un peu désorientés par cette invitation suivant une engueulade musclée, nous acceptons néanmoins.
Ainsi donc, avec une certaine froideur, nous montons donc sur ce magnifique canot doutre Rhin et sommes accueillis avec chaleur. Le skipper germanique offre des bières à la ronde - des vraies, 50 cl - et demande immédiatement que nous chantions. Cest alors que je remarque posé à côté de lui, un bandonéon. Dès que je pose les doigts sur la guitare, il prend son instrument et me suis dans la mélodie. Et là, un véritable miracle de la musique sopère : cet homme qui, quelques heures avant vociférait bêtement pour préserver sa coque, devient un dieu de la musique, un homme inspiré. Quel que soit la chanson que jentame, il me suis dans la mélodie.
Le Vieux Bassin peu à peu se transforme, les plaisanciers présents se sont rassemblés sur les bateaux les plus proches, les gens qui passent se massent, sassoient sur le quai. Même les convives attablés au Perroquet Vert tournent leurs regards et leurs oreilles vers le bassin. Un malheureux chanteur, payé par létablissement et tributaire dune sono, décide sagement de replier son matériel et de séclipser. Quelle soirée ! Ce musicien est merveilleux !
Soudain, dans leuphorie de cette veillée, je décide, le répertoire étant pratiquement épuisé, de chanter quelques-unes de mes chansons. Et là, je suis totalement impressionné, ce merveilleux musicien me suit soudain dans des chansons qui sont miennes et quil ne connaît pas. Quelle fête, quel bonheur, quel plaisir de naviguer à ce moment puisquelle nous permet de rencontrer, un soir, un être exceptionnel ! Beaucoup de ceux que je rencontre parfois et qui ont vécu cette soirée d'exception men parlent encore avec beaucoup démotion. Vraiment, il est certain que la musique adoucit les moeurs.
La première catégorie danimaux marins quil ma été donné de rencontrer sont les requins et les cétacés. Au début de mes navigations en Baie de Seine, je nimaginais nullement avoir la possibilité de rencontrer dans ces eaux de grands animaux marins. La première fois que jy fus confronté, cest au fond de la Baie des Veys, allant vers Carentan. Le temps était calme et javançais très mollement vers la bouée datterrissage lorsque je fus soudain entouré danimaux étranges, de trois mètres environ, au corps fuselé, nageant très lentement en surface. Il y avait là une troupe dune dizaine dindividus dont jignorais totalement ce quils pouvaient être. Je pus les observer une bonne demi-heure avant quils ne disparaissent. Ce nest que quelques jours plus tard sur le quai de Saint Vaast que, voyant débarquer par des pécheurs les mêmes animaux que jappris des marins quil sagissait en fait de taupes de mer, quon appelle hâs en Normandie et nez ailleurs et qui peuvent atteindre 2 à 300 kilos. Cest en fait un squale qui se nourrit de maquereaux ou de harengs, totalement inoffensif pour lhomme mais qui nous avait néanmoins impressionnés.
Plus tard, en Bretagne sud, croisant un voilier qui faisait route vers Concarneau, jai pu observer le manège dun requin pèlerin, solitaire par nature, planté droit dans le sillage de ce canot qui attendait patiemment les épluchures de légumes bien que sa nourriture habituelle soit le plancton. Cétait un impressionnant spécimen dune dizaine de mètres de long.
A linverse de taille chez les squales, il mest arrivé une aventure devant Luc sur mer assez curieuse. Par une chaude journée de pétole, je me laissais dériver un moment. Puis, lheure de rentrer au port arrivant, je me penchai afin de descendre le hors-bord sur sa chaise quand javisai une queue de poisson dépassant sous le tableau arrière. Persuadé quun poisson crevé sétait pris dans le safran, je me penchai pour dégager la dépouille que jattrapai donc à la main. Et je me retrouvai soudain avec un petit requin de 60 centimètres environ, virevoltant et cherchant à séchapper. Mon beau frère, devant la forme fusiforme de la bestiole me cria " cest un congre, attention, assomme-le ". Ce que jessayais donc de faire en frappant la pauvre bête sur le capot du moteur. Mais, la peau était glissante et, à la troisième fois, il méchappa. Nous pûmes alors constater quil sagissait dune petite roussette qui ne demanda pas son reste, trop heureuse déchapper au court-bouillon.
Mais, le rencontre la plus merveilleuse de ma carrière de plaisancier ma été donnée en approche des Glénans, un soir dété particulièrement agréable, où seul un petit souffle dair nous permettait davancer vers les îles. Jétais seul dans le cockpit, léquipage préparant le repas à lintérieur. Soudain, à bâbord, je vis une agitation bizarre de la mer qui était par ailleurs dhuile. Jappelai les autres à venir voir, supposant quun banc de poissons batifolaient en surface, et juste au moment où ils sortaient du carré, nous fûmes en présence dun spectacle de toute beauté : à moins de trente mètres de nous, quatre orques se mirent à sébattre, majestueux, presque graciles malgré leur 9 mètres de long et leur poids impressionnant. Nous étions donc en présence de lépaulard que les anglais appellent " killer whale ", la baleine tueuse. La réputation de la bête est effrayante et mes lectures mavaient appris que plusieurs bateaux de plaisance avaient été envoyés par le fond par ces animaux qui prenaient du recul et se servaient de leur tête comme dun bélier pour éperonner les navires. Autant dire quune certaine angoisse me noua instantanément lestomac. Mais, je nen parlai pas à mes équipiers qui ne semblaient pas mesurer le danger du moment.
Mais, cette troupe était semble-til très pacifique et ne sintéressa pas un seul instant à nous. A linverse nous ne quittions pas une minute, les cétacés des yeux et nous pûmes les observer pendant plus dune demi-heure à petite distance avant quils ne séloignent vers le sud est. Ils sondèrent et reparurent ainsi encore pendant une autre demi-heure, de plus en plus loin de nous et disparurent enfin au nord de lîle de Penfret. Revenus à terre, nous passâmes le reste de la soirée passablement excités par la rencontre improbable que nous avions cependant faite.
Venons-en maintenant aux autres compagnons de nos croisières, les oiseaux marins. Sur nos côtes de la Manche, ils sont, pour lobservateur attentif, très nombreux et souvent méconnus pour la plupart. Bien entendu, le plus commun est le goéland argenté que les terriens, sur la côte, appellent mouettes. Cest une sorte de charognard de mers qui possède le suc gastrique le plus acide de la création. Jen vis quelques uns, étant à lancre à Port Braye où ils sont peu farouches, venir sur le bateau avaler dun seul tenant des os de côtes de porc de belle taille, sans sourciller. Lon pouvait voir la progression des os qui formaient une saillie dans le gosier de loiseau. Pour qui veut voir ces volatiles de près, je recommande de débarquer, au printemps, sur lîle du large de larchipel de Saint Marcouf où, au moment de la nidification, ils sont si nombreux quils se déplacent au fur et à mesure de la progression du visiteur pour reprendre ensuite leur place au nid.
Cest aussi un animal particulièrement bêta dont nous eûmes loccasion de nous gausser maintes fois. On peut ainsi parfois lui faire gober lhameçon destiné aux maquereaux et que lon traîne en surface. Où bien, comme nous le fîmes à Saint Peter dans le port de Guernesey, faire droit à sa voracité en lui lançant des morceaux de pain moutardé, ce qui le fait tirer du col. Ou encore, comme je le vis faire un jour au même endroit, lui offrir un croûton trempé dans du whisky. La réaction fut brutale : après avoir fait quelques pas sur le ponton, il tomba raide et resta ainsi quelques minutes avant de refaire surface. Mal à laise sur ses pattes, il pris son envol pour un ballet indescriptible et drôle. Mais, bien sur, ne faîtes pas ça !
Loiseau marin, que pour ma part je considère comme le plus beau de nos côtes, est sans conteste le fou de bassan. Ce cousin de lalbatros est un merveilleux planeur quil faut voir les jours de piaule tutoyer lécume des vagues sans jamais la toucher. Mais le plus beau spectacle offert par le fou de bassan est le moment de la chasse, lorsquil prend de laltitude pour plonger comme un pierre au plus profond de leau et fondre sur sa proie à près de 80 kilomètres à lheure. Il plonge ainsi jusquà 10 mètres. Vivant en bande, la représentation est renouvelée dès que se présente un banc de poissons. Vous pouvez vivre cette scène sur les bancs de lembouchure de lOrne où jai pu maintes fois lobserver.
Un peu plus au large, on trouve deux types dalcidés, les pingouins torda et les guillemots de troïl. En mer, les deux espèces peuvent dailleurs se confondent : plumage noir sur le corps et les ailes et ventre blanc. Seul le bec est différent, long et effilé pour le guillemot et cours et recourbé pour le torda. Quand on les rencontre à létrave du bateau, ils plongent et ressortent souvent, au bout dun long moment à 100 ou 200 mètres sur larrière du canot. Leur vol, à ras de leau, se caractérise par un battement frénétique des ailes, comme si ils ne pouvaient pas décoller. Ils atteignent ainsi pourtant 60 à 80 kilomètres à lheure.
Un autre des hôtes de nos côtes, plus rare mais néanmoins présent, le labbe pomarin aussi appelé stercoraire, dont je vais vous entretenir à présent, est un curieux oiseau que son attitude vous fera reconnaître à coup sûr. A peine plus petit que le goéland argenté, il présente un plumage sombre, brun-noir ardoisé, aux ailes courtes. Mais, cest surtout un pirate des mers froides, qui pratique le parasitisme auprès des autres espèces rançonnées sans pitié. Si donc vous voyez un oiseau sombre poursuivant en virevoltant sternes, mouettes rieuses ou goélands, cest un labbe qui veut récupérer la pêche des autres.
Les sternes que lon appelle aussi hirondelles de mer sont des oiseaux de petite taille à la silhouette dune incomparable finesse, à la queue noire fourchue, au corps blanc et à la tête surmontée dune calotte noire également. Plusieurs de ses espèces fréquentent nos rivages et je ne veux pas détailler les différents types. Les caugeks semblent être les plus fréquentes. Allez assister, au printemps, comme jai eu la chance de le vivre un matin radieux au mouillage du Havre Gosselin, à Sercq, au ballet nuptial des sternes, cest un spectacle qui remplit le coeur de lamoureux de la nature.
Quand vous serez dans les ports, vous pourrez également admirer la mouette rieuse à tête noire et bec rouge, qui ne cesse de caqueter, le grèbe huppé fidèle avec sa compagne, le grand cormoran et le cormoran huppé (plus rare). Et, avec un peu plus de chance, au large, au hasard des rencontres, il vous sera peut être donné de rencontre le pétrel. Sur la plage, un grand nombre doiseaux sont aussi observables tels les chevaliers gambette par exemple qui montent et descendent avec la vague pour picorer les petits crustacés roulés par le flot ou le tourne-pierre à collier, au plumage tricolore roux, noir et blanc et possédant un collier noir autour de la tête, qui passe son temps à soulever, comme son nom lindique, les pierres du rivage. Peut-être aurez-vous la chance qui a été la mienne également sur la plage de Deauville où jai pu admirer une spatule pêchant dans les flaques que la marée basse avait laissées
Mais jai une tendresse toute particulière pour deux magnifiques oiseaux que jai rencontré aux Scilly notamment, le macareux moine, petit parent des pingouins au bec coloré comme un clown et lhuitrier-pie, à la robe noire et blanche et au bec effilé rouge orangé. Je note dailleurs que sa présence me semble de plus en plus importante sur les côtes de la Manche. Jai ainsi pu suivre, très récemment (1996), un vol dune centaine dindividus sur la plage de Deauville au petit matin.
Et puis, plus prosaïquement, vous aurez peut-être aussi loccasion, comme nous le fîmes dans une traversée de Cherbourg à Newlyn, dembarquer un passager clandestin. Il nest pas rare en effet, au milieu de leau de voir se poser à bord, un pigeon harassé. Ce fut le cas pour nous en passant la Hague et ce volatile que nous avons nourri est resté à bord jusquau bateau-feu " Channel " où il nous faussa compagnie. Sans doute était-ce un pigeon français qui ne voulait pas mettre les pattes dans la perfide Albion...
Pour finir cette énumération des animaux que vous pouvez rencontrer si vous avez les yeux ouverts sur lunivers marin, je veux dire un mot du phoque gris des Scilly. Nous avions lu que cet animal était une des gloires de ces îles et Gégé qui était second à mon bord ne voulait pas quitter les Scilly sans avoir été voir les phoques. Les Western Rocks ne me paraissant pas très abordables, je ne souhaitait pas y aller. Les locaux pouvaient nous y emmener mais pour un prix prohibitif. Gérard était déçu : "nous venons si près deux et nous ne les verrons pas! ". Il nous bassinait depuis un moment quand un vieux solitaire gris vint faire tranquillement le tour du bateau. Gégé sautait de joie. La bête fut immédiatement baptisée " le phoque à Gégé " . Mais quelle ne fut pas notre surprise quelques jours plus tard, rentrés au Havre de voir un phoque, que nous avions été cherché si loin, se prélasser sur les pontons du port de plaisance...
Les rencontres au fil de leau sont nombreuses et certaines dentre-elles ne se perdent pas avec le temps. Parmi tous ces amis, Jean qui a tiré ses premiers bords avec votre serviteur comme moniteur a depuis eu maintes fois loccasion de naviguer. Mais, lune dentre-elles fut particulièrement pathétique et je veux vous livrer in-extenso la lettre que je reçus de lui juste après cette expérience car laccent de vérité quelle contient peut être profitable à chacun dentre-nous.
Pont Saint Esprit
Le 9 août 1991
" Mon cher Claude, tu n'as pas reçu de cartes postales d'une île plus ou moins lointaine parce que sur les cartes, il n'y a pas assez de place pour dire les choses.
Tout d'abord merci pour ta carte. Cela m'a fait extrêmement plaisir. Mais j'ai passé un anniversaire houleux, au sens propre du terme et je vais te narrer çà par le menu. Parti de Paris le 20 juillet pour Briançon, j'étais à Nice le 21 en fin de matinée, prêt à lever l'ancre.
Mais pour mon ami Pierre, qui peaufine son bateau depuis trois ans, la vraie difficulté résidait dans l'abandon de tout ce qui faisait sa vie jusqu'à présent - son cabinet de médecin, fermé depuis le 30 juin, déménagé à la sauvette par José, Pierre et un autre copain, à cause des difficultés avec ses associés. Je l'ai accompagné pour enlever sa plaque à l'entrée de son immeuble. Un vrai coup de main de guérilleros.
Son amie, sa mère, sa soeur, une nièce, les enfants de son amie ne faisaient pas pression pour empêcher son départ, mais sans arrêt manifestaient leur affection. Pour moi, spectateur extérieur, c'était bouleversant. Pour Pierre, c'était plus que redoutable. Le départ, initialement prévu pour dimanche, reporté au mardi, s'est effectué le mercredi 24 à 17 heures.
Moi j'ai eu le temps de voir défiler une foule de ses amis , venus lui faire leurs adieux, apportant des petits cadeaux, prodiguant des conseils de prudence, des choix de routes, des précisions techniques, des recommandations, des témoignages d'amitié, etc...
Ce fut un début de semaine très dur, et je me demandais si nous allions appareiller où rester au port... Notre départ, filmé pendant une demi-heure, jusqu'au môle de la jetée du port de Nice, s'est techniquement bien passé, petit vent (3 à 4) belle mer, beau temps. Pierre avait eu les renseignements météorologiques à la capitainerie du port. Tout était parait-il parfait.
Il faut dire aussi que nous mettions le cap vers la Corse. L'idée était de passer par Ajaccio, où Pierre voulait voir un de ses meilleurs copains, de rejoindre les Baléares, de tangenter LEspagne du côté de Carthagène ou d'Alméria et, si on avait le temps, d'aller jusqu'à Gibraltar. Il m'aurait débarqué en Espagne.
La Corse était un détour important, mais ça lui donnait l'occasion de prendre son bateau en main, de voir et rectifier ce qui n'allait pas, c'était le galop d'essai.
Il faut dire aussi que la remise en état de son bateau, les améliorations qu'il a apportées, la préparation de son grand départ: nourriture, médicaments, boissons (750 litres d'eau mais aussi anisette de sa confection, alcools divers et variés), avaient mobilisé toute son énergie. Il avait peu navigué. Sa dernière sortie s'était effectuée avec José et moi en septembre dernier. Et je t'en avais parlé... Sinon, des ronds dans l'eau. Naïvement, je croyais le bateau et le skipper fins prêts.
Sur le bateau: pas de satnav, un compas compensé par un spécialiste deux jours avant le départ, un compas électronique inutilisable, un sondeur correct, pas danémomètre, pas d'indicateur de vent, un loch à fonctionnement erratique (+ où - 40 % d'erreurs en contrôlant le déplacement entre deux amers remarquables le long de la Corse). Par contre un sextant superbe dont je ne sais pas très bien me servir - les tables américaines sont encore énigmatiques pour moi -, mais dont le capitaine faisait un usage assuré avec des résultats franchement rigolos.
Faire le point en pleine mer, ce n'est pas un luxe! Encore faut-il en avoir les moyens, électroniques de préférence, ou techniques sans évoquer les mânes de Moitessier et autres grands navigateurs. Ah! j'allais oublier une VHF d'occase, mais qui apparemment avait l'air de marcher. Enfin, nous voilà partis.
Avant d'être sortis du port, j'avais pris la barre. "Je prends" comme on dit dans la Royale et ailleurs, mais j'ai gardé vraiment longtemps. Cap au 154. Au bout de 2 où 3 heures, Pierre décida de fêter mon anniversaire au champagne, ce qui était très sympathique, mais mélangé aux abricots un peu chauds qu'on nous avait donnés juste avant le départ, cela nous rendit malade tous les deux. Mais pas très longtemps. Nous étions au petit largue, le vent avait forci un peu! Je repris la barre rapidement. Idée subite: "tu ne voudrais pas mettre la VHF pour voir si ça fonctionne". Avec un bon haut-parleur déplaçable jusqu'au pont... "Tu nous mets sur le canal 16". Après les crachotis d'usage j'entends "Appel à tous! appel à tous" et ô stupeur "coup de vent force 8 à 9 sur Ouest Corse, Ajaccio et Cap Corse". Mon ami Pierre, c'est le moment où jamais de choisir le port où nous revenons: Nice où un autre. Mais le capitaine ne voulait pas revenir, il avait eu assez de mal à partir. Le coup de vent ne durerai pas, etc. Les capitaines devraient admettre, en certaines occasions, des mutineries de leur équipage...
Le vent a viré un peu plus au SW. Nous étions au près et filions bonne allure car le vent s'était renforcé. Nous avons pris un ris, puis un deuxième. Nous avons réduit le foc (à enrouleur). Nous avons pris un ris sur l'artimon. Tout cela, par palier, avec la nuit qui tombait. Les crêtes des vagues étaient blanches depuis longtemps. La mer se formait plus rapidement que je ne l'imaginais. Le vent a soufflé de plus en plus fort tout au long de la nuit, jusqu'à ce qu'on touche le coup de vent. Pas de quart organisé. J'ai vraiment peu dormi.
Nous avions estimé notre route, et modifiée cap 140, pour essayer de rejoindre Calvi plutôt qu'Ajaccio. Vers 11 heures du matin, le jeudi 25, on devinait dans la brume la Corse. Montagneuse, on l'aperçoit je pense d'assez loin. Sur la mer démontée, nous étions incapables de dire à 30 milles près où nous étions. Là, le capitaine me dit qu'il appréhendait d'aller au caillou. Ce que je comprenais fort bien. Nous mîmes à la cape. Ce qui sur un ketch est facile, on affale la grand voile. Il reste un bout de foc et un bout d'artimon...
On continua une journée d'errance sur une mer démontée. Car si, à la cape, on n'avait peu de chance d'aller au rivage, par contre les lames nous tombaient dessus plus ou moins généreusement. Les creux étaient de 3 à 5 mètres et je ne blague pas du tout. Complètement exténué, je descendis dans le carré. Trou où deux rats se traînant lamentablement par terre. Je reçus la ferrite de la gonio sur la tête: pommette éclatée. Pierre remonta sur le pont, où même à la barre nous étions sanglés, pour affaler la voile restante. Et, je n'ai jamais su exactement ce qu'il avait fait, une lame déferlante s'est abattu sur le bateau, d'après ses dires, les barres de flèche ont touché l'eau... J'ai fait un extraordinaire soleil dans le carré qui m'a valu 1 où 2 côtes cassées, des bleus innombrables.
Reprenant, malgré la douleur, rapidement mes esprits, je remonte pour voir si Pierre est toujours là. Blanc comme un linge, derrière la barre à roue, il me dit un oui qui vient de loin. Il redescend, m'ausculte, me soigne. Et nous restons dans le carré, qui tangue et roule sans arrêt, havre de paix à côté des éléments déchaînés à l'extérieur.
Nous passons une nuit d'enfer. Les vagues claquent sur le pont. Pierre toutes les demi-heures essaye de deviner les lumières sur la côte pour savoir comment nous dérivons. Je dors en pointillé, réveillé par la douleur quand, mal coincé, je viens me heurter à quelque chose.
Le jour se lève. La mer et le vent sont aussi violents. Plus de 100 km/h nous dira-t-on après. Pierre me dit "j'ai besoin de toi sur le pont, il faut qu'on fasse quelque chose." Nous ne nous sommes pas dit grand chose. Par contre, comparant nos pensées et réflexions après coup, le thème commun était: de quelle manière cela va-t-il se terminer?
Bref! m'armant de courage, je m'équipe. Mes côtes sont douloureuses. "Je prends" pendant qu'il sort un brin de foc et un peu d'artimon. Je n'ai jamais voulu qu'il aille mettre un tourmentin sur l'étai largable. Cap au nord! La houle était encore fantastique, une vraie chevelure d'écume filait derrière la crête des lames. Les creux m'impressionnaient toujours autant!
Nous avions une allure de portant et malgré le peu de toile nous allions bon train. Je surfais ce bateau de 12 tonnes sur les vagues comme tu me l'as si bien appris. Pensée émue pour Bananec! Au bout d'un moment, se rangeant à mon idée - il fallait 20 heures de nav pour rejoindre la côte métropolitaine - nous décidâmes d'aborder en Corse. Le vent étant W-SW, je pensais qu'en contournant le Cap Corse et en cherchant un port sur la côte est nous serions moins chahutés. Nous avons doublé la Giraglia, que j'ai identifié mais que je n'avais jamais vue, le Cap Corse, et Pierre, incrédule, croyait qu'on allait toucher Calvi.
En tirant d'innombrables bords, nous sommes arrivés au premier petit port venu: Macinnagio, que j'ai reconnu comme tel vers 15 heures. Une fois arrivés, il a fallu que je traîne Pierre dans un restaurant, le soir, qu'il lise le nom du patelin sur le menu, pour être convaincu de la véracité de mes dires. Nous étions bien sur la côte est.
Nous sommes restés 36 heures sans manger, ce qui n'est pas obligatoirement un exploit, mais moi, je n'ai pas fumé une seule cigarette pendant tout ce temps; là, tu apprécieras! Le port était archi comble. Les gens s'étaient mis à l'abri depuis 2 jours. Dans l'état où nous sommes arrivés, on nous a aidés pour nous amarrer: il a fallu mettre l'annexe (Zodiac) à l'eau pour mettre une ancre et pour pouvoir aller à terre.
Le bateau a mieux résisté que nous. La bôme, bien qu'attachée, avait ragé sur le pont. Quelques chandeliers avaient souffert. On avait perdu un seau et 2 où 3 bricoles; Mais, ni les mâts, ni les haubans, ni la toile n'avaient soufferts. L'entrée du cockpit protégée par une capote de la confection de Pierre avait été toujours bien fermée. Pas d'eau dans le carré. On a sorti 30 litres d'eau des fonds. Par contre la rouille sortait de sous le bois du pont. Ce qui fournit à Pierre l'occasion de rendre une première jeunesse à son bateau. Heureusement, l'étanchéité du bateau, bien préparé, avait été parfaite!
A peine arrivé, vers 17 heures, j'ai demandé au capitaine l'autorisation d'aller dormir (2 où 3 heures). J'étais exténué... Arrivés là le vendredi 26, nous y sommes restés jusqu'au lundi 29. Il fallait que l'équipage récupère et qu'on remette le bateau en état.
Lundi, nous sommes allés jusqu'à Saint Florent: mouillage forain. Le premier pour Pierre. Mardi 30 à Calvi. Les ports archi bondés, nous sommes allés nous amarrer au port de commerce. Annonce de coup de vent pour la nuit, mais sagesse retrouvée... Le mercredi 31, Calvi Ajaccio. Partis sous la pluie, moi à la barre, le capitaine au sec, nous avons pris un petit coup de vent après la dépression. Ca n'avait rien à voir avec ce qu'on avait connu. Mais affolement de Pierre qui, trouvant que j'étais trop près des côtes (plusieurs milles) prit la barre et me fit la démonstration originale de virements de bord... au moteur.
Le calme revenu, je repris la barre et cap au sud, nous doublâmes très au large les Sanguinaires pour arriver jeudi 1er août, à une heure du matin à Ajaccio. Nous vîmes le copain et sa femme, José qui passait une semaine de vacances en Corse et qui courait tous les ports pour essayer de nous trouver.
Je décidai de rentrer le vendredi 2 au soir par un ferry jusqu'à Nice, puis en car jusqu'à Briançon. "
Aujourdhui (1995) le Pierre en question est quand même arrivé tout seul à Nouméa et, aux dernières nouvelles tout va bien !
LANIMAL AUX GRANDES OREILLES
La superstition du marin tourne, mais je devrais dire plutôt " tournait " autour de trois grands pôles : la femme, le lapin et le curé. Parallèlement, quelques fétichismes annexes tel " on nappareille pas un vendredi " complétaient la panoplie. Mais, femme, lapin et curé, cétait bien là le vrai danger.
Laissons de côté le curé car cest le rite qui a disparu le plus vite, peut-être parce que les prêtres sont moins nombreux et que, si on excepte quelques mordus de la plaisance dont la figure emblématique est le Père Jaouen, il y a peu de curés plaisanciers... Expliquons néanmoins pourquoi les pauvres abbés étaient considérés comme porteurs de poisse. Uniquement parce que leur intervention à bord la plus tangible se situait aux cérémonies denterrement, si lon peut dire, puisque la malheureuse victime était envoyée par le fond. Les matelots ne voyaient donc pas dun bon il lecclésiastique embarqué.
Les femmes ! Ah, les femmes, en voilà un porte poisse. Et là, il est aisé de comprendre pourquoi. Quand les marins partaient pour de longs mois, ils étaient naturellement privés de relations et navaient pour exutoire que la pratique du tonneau, sur laquelle je ne métendrai pas... Mais, pour la plupart dentre-eux, ce nétait quun pis aller. Aussi, on rêvait jour après jour à ces femmes merveilleuses et lascives qui attendaient le matelot dans les bouges des ports du bout du monde. Mais, il arrivait quune femme prenne place à bord, celle du commandant. Alors le rêve nétait plus inaccessible mais là, tout près, à portée de main. Et mutineries et rixes devenaient monnaie courante... Aussi, par analogie à la présence féminine à bord, tout incident de navigation, tempête, avarie, naufrage, avait finalement trouvé son explication dans cette présence honnie.
Inutile de dire quaujourdhui, presque tous nos plaisanciers modernes nhésitent plus à embarquer leur épouse, leur maîtresse ou leur amie. Souvent hélas, et je le regrette et ne le pratique pas, pour les cantonner à la cuisine ou au faubert.
Mais venons-en maintenant au lapin. Autrefois, au temps de la marine en bois, on embarquait des vivres fraîches, poulets, porcs, bufs et lapins, quon sacrifiait au fur et à mesure du voyage pour sustanter les hommes. Ceci bien sûr puisque nexistaient pas les aliments en boîte ou les réfrigérateurs qui facilitent aujourdhui lapprovisionnement de la cambuse. Et chacun sait que parmi tous ces animaux, le lapin est un rusé qui na pas son pareil pour ouvrir sa cage et se tapir dans les coins les plus inaccessibles. Il semble donc, daprès le légende, que ces rongeurs échappés en profitaient pour ronger, ronger les cordages et même les coques et que maints navires se seraient retrouvés par le fond à cause des maudites bestioles. Doù cette superstition tenace que certains pratiquent aujourdhui sans en connaître lorigine.
Cest ainsi que le mot lapin ne se prononce pas sur certains bords : vous devez employer des circonlocutions tarabiscotées du genre " cousin du lièvre " ou " animal aux grandes oreilles ". Inutile de dire quil est hors de question de consommer la bête sur le canot. Certains, qui découvrent un morceau de lapin ou une boîte de pâté du même nom sont capable dune quasi hystérie. Quelquun ma rapporté quun jour où lon venait de faire des travaux de peinture, un équipier eut le tord de demander " qui la peint ", ce qui provoqua le délire du chef de bord... Mais cela reste à vérifier.
Il nen reste pas moins vrai que, pour ma part, jai fait voeu de tordre le cou à cette vieille croyance, ce qui me vaut parfois linimitié de quelques-uns de mes pairs. A ceux-là, je fais remarquer que je navigue souvent avec des boîtes de pâté de lapin dans mes coffres en plastique et quelles nont pas encore, pour le moment, rongées ma coque. Et surtout, je métonne toujours que ceux-là qui prêtent tant dimportance à cette pauvre bête, nhésitent pas, pour autant, à ne pas laisser leur femme sur le quai. Mais cet argument, pour le moment, ne les a pas encore convaincus.
Mais je gardais un atout dans ma manche ! Et cet atout, il est de taille. Car les tenants de ces vieilles croyances me taxent de ne pas respecter les traditions de la marine avec un grand M, quon se doit de perpétuer le souvenir des anciens de la marine en bois, ce que font tous les grands marins daujourdhui... Et voilà que dernièrement, en mal de lectures marines, je me décide à relire un classique parmi les classiques, le premier livre dEric Tabarly, " Victoire en solitaire " qui, comme chacun doit savoir, raconte la première transat gagnée par Eric en 1964. Et jarrive à la page 85 et suis soudain transporté de joie à la lecture de ce passage que je vous cite in-extenso : " cest jeudi. Une tradition de la marine veut que ce jour-là le menu soit particulièrement soigné. Jouvre donc une boîte de lapin chasseur ; il ny a quà réchauffer le contenu : ces conserves sont excellentes et vraiment bien pratiques. " Tabarly, celui-là même que tous les plaisanciers daujourdhui révèrent et auquel ils doivent quasiment tous leur passion de naviguer, non seulement consomme du lapin à bord mais gagne aussi la course. Alors, finies les balivernes, quon ne vienne plus jamais me dire que ce pauvre lapin porte la poisse, je nen crois plus un mot.
Ajouterais-je que pour jouer au prosélyte, depuis maintenant quelques années, au cours dune croisière aux Scilly, quelques amis mayant offert une merveilleuse lapine en peluche, jai placé cette dernière, dans son hamac, collée sur le hublot de ma table à carte.
22, VLA LA DOUANE
22, vla la douane... Savoir pourquoi, même quand on est parfaitement en règle, la vue des képis bleus ou des casquettes blanches provoque inévitablement une certaine angoisse et surtout un sentiment de frustration dans lexercice de notre passion qui est toujours tintée dun amour de la liberté que ces empêcheurs de naviguer en ronds vont spolier pour un moment plus ou moins long.
Cest ainsi que je fus témoin, il y a quelques années, dune visite en règle sur le bateau dun solitaire qui, rentrant de Casamance, venait de samarrer dans le port de Rouen, de retour dun périple de plusieurs années. Javais passé la soirée précédente à son bord qui était à limage de lendroit doù il arrivait : tapis africains, tambours et tambourins, vaisselle locale, masques de guerre, bref, de magnifiques trophées témoignant de son long voyage. Ca ne sentait pas particulièrement lherbe exotique dans ce bateau.
Il nempêche que les gabelous pénétrant dans cette antre africaine devinrent rapidement particulièrement excités dautant que le malheureux, malgré ses recherches, ne parvenait pas, dans le fatras du bord, à retrouver son livret de francisation. Bientôt, sentassèrent sur le quai, tous les objets hétéroclites qui étaient saisis pour analyse et quune douanière, au demeurant charmante, chargea consciencieusement dans la 4L de service. Peu après, une estafette de la gendarmerie prit position sur le quai pour empêcher toute fuite du malheureux plaisancier, déjà dégoutté du retour à la civilisation. Nous passâmes la journée tous les deux à fouiller son bord afin de retrouver - ce qui arriva finalement - le précieux document réclamé par les autorités. Après examen poussé, il savéra quil ny avait rien dillicite à bord et notre plaisancier retrouva un peu de sérénité après quarante-huit heures de tracassin.
Jai souvenir de quelques contrôles tatillons, ici ou là mais, avec Juju, mon fils, nous gardons surtout en mémoire un spécimen de ce que ladministration - dont je suis, je le rappelle - a pu parfois produire dindividus si attachés à leur fonction que rien ni personne ne peut leur faire déroger à un règlement appliqué sans discernement.
Laffaire dont je parle se passe à Cherbourg, un été particulièrement pourri comme nous en connaissons hélas parfois dans la Manche. Nous étions arrivés là, pris par un coup de vent et en attente dune embellie pour passer le Raz Blanchard et gagner Guernesey. Le lendemain de notre arrivée, sannonce donc le contrôle en règle dun vieux fonctionnaire des Douanes. Lindividu sapproche, chenu sous le képi et je dis à Juju : " cest pour nous ". Effectivement, il minterpelle, me demande mon livret de francisation puis pose la fatidique question : " que ramenez-vous de Guernesey ? ". Je lui indique donc que, compte tenu de la météo et de mon port dattache - Le Havre - je nen viens pas mais compte my rendre, dès que le temps me le permettra. " Ah, bon " me dit-il avec une certaine intelligence dans le regard qui me semble indiquer quil a compris le problème.
Le lendemain, le vent soufflant toujours à 7, javise au matin notre gabelou déjà décrit descendant à nouveau la passerelle conduisant à notre ponton. " Bon, je me dis In-peto, aujourdhui, ça nest pas pour moi ! ". Et bien, non ! Notre gai luron me demande mon livret de francisation, fait quelques vérifications et me pose enfin la fatidique question après le même dialogue que la veille : " que ramenez-vous de Guernesey ? " Je lui rappelle notre dialogue dhier mais ça ne semble nullement lébranler...
Le coup de vent a duré huit jours pleins, le douanier a effectué chaque jour les mêmes contrôles et posé les mêmes questions... Comprenne qui pourra. Néanmoins, à un de ses collègues plus jeune auquel je demandais si ce vieux douanier était souffrant, la réponse fut " bientôt la retraite " et un mouvement dimpuissance de la main... Jespère que celui-là, qui a tant donné pour le service de létat goûte une retraite amplement méritée...
Mais, il faut dire que les visites douanières ne présentent pas toujours lacharnement dont je viens de faire état. Dautres sont plus amicales, plus chaleureuses. Ainsi, par un beau jour de printemps, en semaine, jétais simplement occupé, comme le font beaucoup de plaisanciers, à effectuer quelques travaux à bord quand, seul plaisancier aux alentours, je vois se profiler sur mon ponton, un douanier à casquette blanche, un autre en veste de quart et un troisième en civil. Levant la tête et effectuant un rapide mouvement circulaire, je devine aisément que je suis la cible idéale. En effet, ils abordent mon catway.
" Visite de sécurité " me dit alors le galonné, " permission de monter à bord ? " Comment refuser ! Je demande néanmoins, un peu facétieux, au civil de me montrer une carte laccréditant comme douanier et, tout ce beau monde monte à bord. Je peste déjà, intérieurement, pensant au temps précieux que je vais perdre... Cest alors que celui qui ma abordé me demande si jaccepte de me prêter à une petite mise en scène, minformant que celui qui porte la veste de quart nest rien moins quun collègue irlandais, en stage et quil faut bien lui montrer comment on procède à un contrôle à bord. Le beau temps aidant, je nai pas le cur à refuser et nous nous mettons à luvre. Cest alors que notre Irlandais sort son appareil photo, expliquant quil veut réaliser un reportage pour le bulletin des douanes de son pays. Cest ainsi, vraisemblablement que jai dû, à un moment ou à un autre, figurer en bonne place dans le journal des douanes dIrlande. Jose espérer que lorsque jaborderai là-bas, il y en aura bien un pour me reconnaître !
PROVERBES ET MAXIMES
De tout temps, la mer a généré des peurs, des superstitions qui se traduisent par le verbe. Les naufrages et les drames ont suscité également des paroles que les marins voulaient définitives. Les éléments et les tempêtes, quon souhaite prévoir président aussi à bien des dictons ou proverbes. Je veux marrêter un instant, en conclusion de ce modeste opuscule sur ces paroles glanées au fil du temps ou des lieux pour que nous y réfléchissions ensemble.
Chacun sait la nécessité dêtre compétent pour aller sur la mer, ce que nous rappelle avant dêtre capitaine, il faut être matelot ou bon capitaine, bon marin. Notons également à navire neuf, vieux capitaine. A linverse, certains proverbes mettent en garde contre trop de commandement à bord. Ainsi ce proverbe arabe lorsque les capitaines sont plusieurs, le vaisseau chavire et cet autre, chinois, sil y a deux maîtres, le cheval est maigre, si la barque est à deux, elle fait eau. Marcel Pagnol propose lui une solution : si vous voulez aller sur la mer sans aucun risque de chavirer, alors nachetez pas un bateau, achetez une île. Je goutte fort la sagesse de cette pensée yéménite qui dit il faut jamais prendre la mer sans son frère. Mais certains dictons font état de la qualité du matériel, ainsi à navire rompu, tous les vents sont contraires et avec deux ancres, le bateau sera mieux tenu.
Bien des paroles de mer démontrent aussi la facilité de naviguer quand tout va bien comme il ny a pas de mauvais pilote quand le vent est bon ou quand la mer est tranquille, chaque bateau a un bon capitaine et sans courant et ababouiné, tout un chacun sait naviguer. Notez également bateau arrété ne gagne rien ou sous une voile, il est facile de ramer et bon vent vaut mieux que force rames.
La sagesse nest pas absente non plus des proverbes marins soit pour mettre en garde comme à pisser contre le vent, on mouille sa chemise où le célèbre une main pour le bateau , une main pour toi. Mais si le bateau souffre, ajoute lui trois doigts, soit pour louer le bon sens : vent au visage rend marin sage et petite voile à grand vent convient au sage bien souvent. Le summum de la capacité étant résumé dans qui les trois caps a passé, au vent a le droit de cracher.
La mer pour sa part est célébrée par des paroles parfois lénifiantes telles beaucoup de gouttes font un océan et ce quapporte le flot sen retourne avec le jusant et encore chaque flux a son reflux. Mais le poète lui aussi la célèbre. Ainsi André Suarès nous dit la mer est un élément capital pour la connaissance des peuples. La mer modèle les moeurs comme elle fait les rivages. Tous les peuples marins ont du caprice, sinon de la folie dans lâme et Margherita Guidacci, les respirations de la mer sont des minutes déternité. Dautres ont chanté la terre comme Homère, douce est la terre quand elle paraît aux yeux des naufragés et Lucrèce, il est doux quand sur la vaste mer les vents soulèvent les flots, dapercevoir de la terre ferme les périls dautrui.
Mais le domaine de la météo reste une mine inépuisable de dictons et proverbes dont je vous livre ici une sélection que vous utiliserez à votre guise :
A son lever, grand soleil : petit vent. A son coucher, petit soleil, grand vent
Dans un coup de suroît, veille laube, de la saute au noroît
De grand vent, petite pluie
Grain crevé par en dessous perd sa rage par son trou
Les petites pluies sont longues, les tempêtes soudaines sont courtes
Lune couchée, marin bien éveillé
Nuages étendus et fouettés annoncent un vent frais entêté
Si vite court le vent, il finit par tomber
Soleil rouge au levant, signe de mauvais temps
Soleil rouge au soir, blanc au matin : bon quart partout pour le marin
Un ciel rose à la fin du jour, du beau temps promet le retour
Vent de noroît, balai du ciel, beau temps après un arc-en-ciel.
Je ne résiste pas non plus au plaisir de vous offrir quelques proverbes locaux ou étrangers. Un breton dabord : clerch loar di ous en nozé, clao pi avel dan ter nozé ce qui signifit Cercle à la lune vers le souer, vent et pluie à minuit, on va sentir et vouer. Nos voisins anglais ne sont pas en reste avec mackerel skies and mares tails make tall ships carry low sails soit Ciel maquerellé et queues de jument feront serrer la toile aux vaisseaux les plus grands. Et puis au-delà de lAtlantique, nos îliens antillais disent Quand mé qui bleue li veni noi, gos tintouin vent you tni lespoi ce qui veut dire : quand la mer bleue devient noire, de gros ennuis de vent vous avez lespoir.
Avant de conclure, il est intérressant de noter dans les deux proverbes suivant toute la superstition qui sattache à la mer : qui tue les goélands met la mort entre ses dents et tue le goéland, marin méchant. Bientôt, tu te noieras, crabe te mangera. A méditer.
Dernier dicton fameux sur les îles bretonnes dont chacun de nous connaît un morceau et que jai fini par trouver entier, du moins je le suppose : qui voit Groix voit sa joie, qui voit Belle-Ile cingle sans péril, Camaret, fou qui sy met, Ouessant, vire au vent, qui voit Molène voit sa peine, et Les Glénan voit son sang, qui voit Penmarch, tout est hasard, qui voit le Raz, sauve qui pourra !
En parlant de raz, je voudrais rappeler cette parole de lécrivain Didier Decoin, le raz Blanchard, cest le Cap Horn du pauvre. Enfin je voudrais terminer par une merveilleuse parole de Bernard Moitessier qui disait en novembre 1992 à lémission Thalassa ya des gens qui jouent du violon ou de la guitare. Nous, on joue du bateau. Que dire du bonheur ressenti quand, comme moi, on a la chance de jouer des deux.